Stuttgart, envoyé spécial
«Marioupol a tout simplement été rayée de la surface de la terre », constate Alexander, 46 ans. L’homme, massif, est assis dans le jardin d’une jolie maison aux tuiles rouges, dans la campagne de Stuttgart, prêtée par les autorités allemandes. C’est là que ce membre de la communauté grecque de la ville portuaire ukrainienne a trouvé refuge avec sa mère, Sinklitikiya, 72 ans, et deux familles, originaires d’Odessa et de Kharkiv (lire l’épisode 10, « Kharkiv meurtrie, Kharkiv debout »). Durant cinquante-quatre jours, mère et fils se sont terrés dans une cave, sous les fracas incessants des bombes russes. Avec eux, quarante personnes, dont dix enfants. « Pendant cette période, trois de mes voisins sont morts sous mes yeux. L’une d’entre eux était enceinte de cinq mois et elle avait déjà deux enfants. Un obus a arraché ses deux jambes jusqu’au-dessus des genoux. Elle a fini par mourir en se vidant de son sang. » Alexander remonte alors son pantalon, dévoilant un tibia criblé d’impacts de shrapnels, des obus remplis de balles. « L’aviation, l’artillerie et toutes sortes de missiles s’abattaient sur nous. Notre habitation était sur la ligne de front, à 300 mètres de l’usine d’Azovstal [où étaient retranchés des soldats ukrainiens, appartenant notamment au bataillon Azov, ndlr]. En une heure, on pouvait compter jusqu’à 200 impacts de divers calibres. » Pour manger, Alexander et ses voisins ne disposaient que de quelques minutes pour sortir de la cave, allumer un feu et faire bouillir de l’eau.
Le siège de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, au bord de la mer d’Azov, aura duré près de trois mois, s’achevant par la prise de la ville, le 20 mai, par les forces russes et les séparatistes de la République populaire de Donetsk. Selon le maire, Vadim Boïtchenko, « Marioupol a été détruite à 90 % ». Piégés, les habitants ont dû apprendre à survivre au rythme des bombes et de l’hécatombe. La population manquait de tout. Les blessés avaient peu de chances de s’en sortir en l’absence d’assistance médicale. Sortir des abris pour se ravitailler en eau potable et en nourriture ? Une prise de risque, voire une condamnation à mort. C’est ce que raconte Olga, 39 ans, installée elle aussi avec sa famille non loin de Stuttgart, à 2 500 km de chez elle, dans un centre scolaire de la ville de Waiblingen. Pendant le siège, elle vivait dans un appartement de l’est de Marioupol.