À Kyiv (Ukraine)
On appellera ça les gestes de la guerre. Se précipiter vers l’abri ou la station de métro la plus proche, reprendre sa respiration, sortir son téléphone, d’abord pour rassurer ses proches puis pour faire défiler les chaînes de l’application de messagerie Telegram à la recherche de bribes d’information. Attendre, en laissant l’adrénaline des premiers instants laisser place à une anxiété un peu sourde. Alors que la Russie entamait le 10 octobre au matin une campagne de frappes d’une intensité inédite depuis les premières semaines de l’invasion en février dernier, les habitants de Kyiv et d’autres villes d’Ukraine épargnées ces derniers mois par les bombardements ont été replongés pour une poignée d’heures terrifiantes dans la guerre immédiate et viscérale.
Tout juste après 8 heures du matin, il y a eu le vrombissement d’un missile balistique survolant le centre-ville de Kyiv. D’abord, il y a eu, à 6 h 47, l’alerte aérienne, soixante secondes de sirènes hurlantes à travers la ville que beaucoup d’habitants avaient ces derniers mois pris l’habitude d’ignorer. Une alerte toujours bien active lorsque Valya passe les portes du principal bâtiment de la prestigieuse université Taras-Chevtchenko, flamboyant édifice classique érigé en 1843, aux murs et colonnes de style grec antique peintes en rouge vif. Elle est au premier étage, occupée à nettoyer une salle de classe, quand elle perçoit ce vrombissement du missile, très vite suivi d’une puissante explosion : « Les murs ont tremblé alors j’ai couru, et je suis descendue ici », raconte-t-elle deux petites heures plus tard, réfugiée dans le sous-sol de l’université. Pour la première fois de la guerre, un missile russe vient de s’abattre en plein cœur de la capitale, sur un carrefour à quelques pas de l’agréable parc Chevtchenko et d’une université nommée elle aussi en l’honneur du plus célèbre poète ukrainien. Des frappes qui toucheront ensuite l’ensemble de l’Ukraine et qui continueront le lendemain, tirées par une Russie tentant désespérément de changer le cours de la guerre.
Pour l’instant, Valentina se précipite, traverse les couloirs vides d’une université en régime distanciel depuis des mois, puis une cour intérieure aux parterres encore fleuris pour descendre enfin dans le sous-sol