Salut, c’est moi, le maître de la poudre de perlimpinpin ! Oui, parfaitement « la poudre de perlimpinpin », comme on dit, nous, les jeunes. Comment ça, qui ? Ne faites donc pas vos jocrisses, c’est moi Emmanuel Macron, CEO de la France, maître des horloges et de la poudre de perlimpinpin. Depuis dimanche, je ris mais je ris. D’abord, tous les médias m’ont accueilli, dans un bel ensemble, comme le sauveur de la France, le gars qui a tout réussi, et depuis, je les fais courir. Edouard Philippe – c’est pas un bon nom de Premier ministre qu’on oubliera, ça ? – dévoilé lundi à 8 heures ? Balivernes ! Je fais ce que je veux, je le nomme à 15 heures. Le nouveau gouvernement annoncé, juré, craché, mardi en début de soirée ? Billevesées ! Ce sera le lendemain, et je vous zut…
…Teup, teup, teup, Emmanuel Macron, sortez immédiatement de cet article et allez vous laver la bouche au savon, on vous prie. On verra si vous avez le droit d’intervenir dans Les Jours quand on aura tenu la promesse du titre de cette obsession : In bed with Emmanuel Macron. En attendant, laissez-nous reprendre le fil de cet article et de la belle histoire de la nomination de votre premier gouvernement. « Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’Intérieur. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solid… » Ah non, mais franchement, on ne va pas vous faire ici la liste des ministres déroulés ce mercredi et à 15 heures pétantes par le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler ; vous la trouverez, par exemple, sur Wikipédia, pratique en cas de jeu à boire sur la composition du gouvernement. Allons-y plutôt de notre propre liste. Test micro, one-two soundcheck : Arnaud Robinet. Jean-Pierre Raffarin. Olivier Véran. Jean-Paul Delevoye. Thierry Breton. Nathalie Kosciusko-Morizet. Audrey Azoulay. Cédric Carrasso. Jean-Louis Borloo. Franck Riester. Axelle Tessandier. Nicole Notat. Erik Orsenna. Et pourquoi pas David Pujadas tant qu’on y est ? Car, et elle n’est pas exhaustive, c’était là la liste des « pressentis » (pressentir : « attendre, prévoir vaguement », indique Le Robert) par l’ensemble de nos confrères des journaux, télés, radios et autres sites internet. Depuis lundi 14 h 53 qu’en à peine dix secondes, le nom du premier d’entre eux, Édouard Philippe, a enfin été dévoilé, il fallait bien s’occuper, aussi.
Mine de rien, c’est toute la palette du journalisme qu’on nous déploie ces temps-ci. Vous avez aimé le journalisme d’ameublement qui consiste à décorer des espaces vides en disposant des envoyés spéciaux devant des portes fermées ? Vous adorerez le journalisme divinatoire ou la version médiatique de la discussion de comptoir qui voit des éditorialistes composer des gouvernements des heures durant. Le journalisme trombinoscopique, lui, est entré en action sitôt la distribution des maroquins et leur égrenage en boucle, comme un écho infini à l’annonce d’Alexis Kohler : « François Bayrou, garde des Sceaux, ministre de la Justice », « Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères »…
Là où Emmanuel Macron fait dans l’inédit, c’est qu’il n’est pas, contrairement à ses prédécesseurs, bavard (pipelette, nous dirait-il jamais en peine d’une expression de 1930). Les téléphones ont eu beau vibrer en permanence sur les plateaux des chaînes info (énervant, d’ailleurs, cet incessant « bzz »), aucun journaliste n’a eu, sinon quelques minutes à peine avant l’annonce, la composition du gouvernement, ni dans l’ordre, ni dans le désordre. D’où, d’ailleurs, est venue la certitude qu’Édouard Philippe serait Premier ministre ? De François Hollande, prévenu par son successeur. Car voilà, chez Macron, on la ferme. Et on ne semble pas vouloir non plus pratiquer le « off » avec quelques journalistes triés sur le volet. Toute communication du nouveau président de la République doit être autorisée, jusqu’à celle de ses coulisses, ainsi qu’en témoigne la nouvelle fournée de clichés noir et blanc de sa photographe officielle Soazig de La Moissonnière, opportunément publiée sur Twitter après la composition du gouvernement : on y voit Macron devant des feuilles et face à Édouard Philippe (ça bosse), on y voit Macron au téléphone, sourcils et rides du lion froncé (c’est sérieux), on y voit Macron réfléchissant et se réfléchissant dans les ors de l’Élysée (c’est président).
Une analyse ? Mais de quoi ? Des bisous-bisous d’un ministre qui s’en va à celui qui arrive ? Une analyse qui se gausserait du report de la formation au prétexte forcément fallacieux d’une vérification des antécédents de chacun, histoire de se prémunir d’un Thomas Thévenoud à la phobie administrative, et se conclurait par un brillant « tout ça pour ça » ? Des promesses non tenues de Macron qui avait annoncé, sur TF1 en mars, un gouvernement à « quinze membres maximum » pour finir à 22 ? De la parité promise et qui se termine sans aucune femme ministre d’État ? De la composition politique de cet aréopage qui, signé Macron toujours, devait rassembler droite, gauche et centre et dont le plus dangereux gaucho se retrouve être Jean-Yves Le Drian ? D’un renouvellement survendu qui s’incarne en Gérard Collomb, 70 ans et 40 de mandats ? De ce gouvernement visant à dessouder la droite puisque le rejoignent Bruno Le Maire (qui devient ministre de l’Économie) et Gérald Darmanin (qui prend l’inédit portefeuille de l’Action et des comptes publics) ? Une analyse où on vous expliquerait qu’à force d’amuser la galerie en faisant lambiner les journalistes ou en leur jetant un Nicolas Hulot à commenter, on rate la véritable info de ces derniers jours : la France est dirigée par la droite ? On est d’accord : pas d’analyse.
Et puis franchement, président, vous poussez le bouchon. Mercredi, quelques minutes avant 15 heures, ils nous ont presque fait de la peine, sur BFMTV. Ruth Elkrief était au bord du gaz, amorçait quelques prédictions, mais du bout des lèvres, osant à peine. Après trois jours à se faire balader, à commenter des taxis qui filent, des micros sans porte-parole, à se faire poser des lapins par communiqué de presse. Mardi soir, pour illustrer le non gouvernement, la chaîne info en était à se payer sa propre tronche en diffusant un montage de ses journalistes maison en train de brasser du vent. À trois minutes de l’annonce fatidique du gouvernement, Ruth Elkrief a dit : « Prudence, tout cela peut encore bouger » et aussi « Tout cela serait à confirmer. » Doute, autodérision et conditionnel sur BFMTV ? Alors là, bravo, président Macron.