Lundi 6 mai, l’armée israélienne a lancé une offensive sur la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où un million et demi de Gazaouis sont réfugiés, rejetant le cessez-le-feu finalement accepté un peu plus tôt dans la journée par le Hamas. Alors que la paix semble s’éloigner un peu plus, Les Jours donnent la parole à deux voix uniques : un Israélien et un Palestinien, unis depuis près de vingt ans dans le deuil pour porter la paix. Rami Elhanan et Bassam Aramin. Rami, israélien, jérusalémite de septième génération, a vu sa fille Smadar, 13 ans, mourir dans un attentat kamikaze commis par trois Palestiniens en 1997 ; Bassam, palestinien, originaire de la région de Hébron, a perdu sa fille Abir, 10 ans, tuée en 2007 d’une balle par un soldat israélien. Rami et Bassam sont devenus mondialement connus en 2020 grâce à un livre qui raconte leur histoire : Apeirogon, de Colum McCann (éditions Belfond). Entretien avec ces deux pacifistes, qui gardent espoir envers et contre tout, surtout depuis le 7 octobre 2023.
On connaît votre histoire dans les grandes lignes, mais pouvez-vous nous en dire plus sur vos parcours, ce qui vous a mené là aujourd’hui ?
Rami Elhanan : J’ai 74 ans et je suis né à Jérusalem. Ma mère, juive ultraorthodoxe, est née dans la Vieille Ville de Jérusalem. Mon père, originaire de Hongrie, est arrivé en Israël en 1946, après avoir passé un an à Auschwitz. Il a fait la guerre de 1948 [première guerre israélo-arabe, appelée aussi « guerre d’indépendance » par Israël, ndlr], où il a été gravement blessé. Ma mère est l’infirmière qui l’a soigné, et je suis le résultat de leur rencontre. Je suis juif, Israélien et, avant tout, je suis un être humain. Je vis à Motsa, au milieu de la forêt, en périphérie de Jérusalem depuis 2004. Avant, on était dans un quartier du centre de Jérusalem, où on avait tous nos souvenirs de famille… Après la tragédie de la mort de Smadar, c’était insupportable. À l’époque, j’étais graphiste. J’avais une entreprise de seize salariés. Je menais la belle vie, je travaillais pour les partis de droite, de gauche, peu importe, j’étais très cynique. Ce qui m’a rendu cynique, voire anarchiste, c’est la guerre du Kippour en 1973. J’étais mécanicien tankiste. J’ai commencé la guerre avec une compagnie de onze tanks, et j’ai fini avec seulement trois tanks. J’ai perdu énormément d’amis. J’étais très en colère et j’ai perdu confiance en tous les politiques.