Saint-Louis, Missouri, 30 août 1904. Peu avant 18 h 30 et après 3 h 13 de course, Frederick Lorz franchit tout sourire la ligne d’arrivée du marathon des troisièmes Jeux olympiques de l’ère moderne. Les dix-mille personnes réunies dans le stade Francis-Field acclament ce maçon new-yorkais âgé de 20 ans qui, pensent-ils, vient d’avaler 40 kilomètres sous plus de 30 °C. Une prouesse digne de Philippidès, le soldat grec ayant cavalé jusqu’à Athènes annoncer la victoire de Marathon, et dont l’exploit a donné son nom à l’épreuve reine des coureurs de fond. Sauf qu’en - 490, Philippidès a parcouru la distance à pieds, et c’en est depuis le principe. En 1904, Frederick Lorz, lui, s’affranchit de la technique de son illustre prédécesseur et saute dans une voiture pour n’en descendre qu’à quelques kilomètres de l’arrivée. Pas de chance, les arbitres l’ont grillé et lui signifient sèchement sa disqualification en plein triomphe. Lorz se marre, leur jure qu’il n’entendait pas partir avec la médaille, que tout ça n’était qu’une bonne blague. La foule trouve la farce moyennement drôle et le hue copieusement. La petite histoire, démentie par la suite, raconte qu’avant que le comique ne soit confondu, la fille du président Théodore Roosevelt l’aurait distingué d’une couronne d’olivier. La honte.
La course de marathon de cet après-midi a été une réussite du point de vue athlétique, mais je pense qu’elle devrait être retirée de la liste des événements. [Elle a] pour effet de tuer l’homme.
Quinze minutes plus tard, Thomas Hicks pointe à son tour le bout de son nez suant sous les vivats d’un public soulagé : un deuxième Américain lave l’affront du premier.