Avant, elle ne faisait pas attention à la couleur de la peau. Avant, Sophie pouvait avoir peur « des petits branleurs, ceux qu’on appelle des “racailles”, les types agressifs avec lesquels tu sens que tu ne peux pas parler normalement. Qu’ils soient blancs, arabes, noirs ». Leur origine ne rentrait pas en ligne de compte. Elle ne remarquait pas les nuances de carnation. Aujourd’hui, dans le métro, Sophie scrute les passagers. « Si c’est un Arabe qui monte, je suis plus aux aguets, je regarde ses chaussures, ses vêtements, son sac à dos. » Elle s’en veut, mais c’est plus fort qu’elle. Sophie était attablée au café du Bataclan le soir des attentats de novembre. Elle a vu l’un des terroristes (lire l’épisode 5, « “J’ai vu le tireur, jeune, calme, tranquille” »). « Depuis, j’ai un regard différent. Et la culpabilité qui va avec. » Ce réflexe suspicieux la met mal à l’aise, lui fait honte. Elle précise d’ailleurs qu’elle n’a jamais changé de rame de métro parce qu’il y avait un « mec bizarre » car elle veut « continuer à faire confiance ».
Je me suis mise à avoir peur des femmes voilées que je croise, alors qu’avant elles représentaient pour moi la bonté, la religion…
Personne n’a envie de se retrouver piégé par ses pulsions. Sophie reste discrète sur ce bouleversement interne. Il y a en elle une machine à stigmatiser qui roule toute seule et que chaque attentat contribue à huiler davantage.