Le vélo était accroché aux grilles du square, en face du Bataclan. Je ne l’ai pas remarqué tout de suite. Dans les jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre, j’étais trop hagarde. Et puis, il était enseveli sous les fleurs déposées là, on pouvait à peine en deviner la silhouette. Au fil des semaines, les pétales ont fané, les bouquets se sont déplacés, et le vélo a émergé. Un Peugeot, violet. Personne n’est venu le chercher. Chaque jour, quand je passais devant pour emmener mes enfants à l’école, je pensais à son propriétaire, une victime des terroristes, j’en étais certaine. Chaque jour, il était la preuve de l’absence. Un fantôme de métal et de pneu. On ne laisse pas un vélo comme ça. J’ai essayé d’imaginer celui ou celle qui avait attaché sa bicyclette avant de se rendre à un concert, un vendredi soir de novembre. J’ai essayé de retrouver des traces, j’en ai parlé au maire du XIe arrondissement, à des chercheurs qui travaillent sur les objets et inscriptions hommages collectés sur les lieux des attentats, devenus des autels compassionnels. Je n’ai pas poussé très loin. De temps en temps, je photographiais le vélo.
À Chicago où je suis partie un mois cet automne pour suivre les élections américaines (lire la série Maisons blanches, maisons noires), je me suis rendue compte que, pour la première fois, je ne pensais pas tous les jours aux attentats passés et à venir. C’est une libération silencieuse dont je ne parviens pas à deviner si elle est définitive.
À Paris, dans le quartier du Bataclan, les images se superposent.