Lorsque j’interroge Mélissa Saadna, étudiante en première année à Nanterre, sur le temps qu’elle passe sur son téléphone, elle me répond : « Environ trois heures par jour. » Une heure et demie au téléphone, une heure et demie pour « le reste ». Dans tous les reportages, tous les entretiens que nous avons réalisés avec la dizaine d’étudiants que nous suivons depuis le mois de septembre dans cette série, leur téléphone portable est perpétuellement présent entre eux et nous. Toujours à portée de main. Ils sont inquiets quand ils le perdent, extrêmement attentifs lorsque quelqu’un d’autre le prend en main. Un prolongement de leur bras, qui leur sert à tout. Ils n’ont pas de télé, pas d’agenda, souvent pas de carnet de notes ou de stylo et ne lisent pas de magazines. Ils ont juste un smartphone. Comme un doudou. Mélissa a accepté de nous ouvrir son téléphone. Nous avons reconstitué sa journée-type. On est loin des trois heures annoncées.
8 h 45. Mélissa se fait arracher au sommeil par la sonnerie de son iPhone 6. Elle se l’est fait offrir à Noël. L’écran est déjà fendu au milieu. À 8 h 47, la deuxième alarme se déclenche, l’étudiante en première année d’arts du spectacle ouvre les yeux pour la première fois. Difficile d’émerger. Comme souvent, hier soir elle a discuté trop tard avec sa meilleure copine du lycée. Au bout de la troisième sonnerie, à 9 heures, elle attrape son téléphone posé sur le sol au pied de son lit. Elle ne le met plus sous son oreiller, elle a peur des ondes. Il reste en revanche allumé toute la nuit, au volume maximum. Elle discerne à peine l’écran mais réussit à désactiver son réveil, baisse la luminosité qui lui fait plisser les yeux.
Une fois son smartphone en main, elle « fai[t] le tour ». Traduction : le tour des réseaux sociaux. Elle fait descendre le centre de notifications : ce sont celles de Messenger qui l’intéressent d’abord. L’application de discussion de Facebook est celle qu’elle utilise le plus, même pour communiquer avec ses parents. Eux aussi ont migré des traditionnels SMS vers Messenger, qui, depuis 2014, est le seul moyen d’accéder sur mobile à ses messages privés de Facebook. Le début de la conquête par les réseaux sociaux des applications de messagerie. Le reste des étudiants de Nanterre que nous suivons confirment : ils sont une majorité à nous dire qu’ils utilisent plus Messenger que les textos ou toute autre appli de discussion.