Ils sont de gauche, de droite, rien de tout cela, ou ne veulent pas le dire. Ils sont les personnes, nos personnages comme nous les appelons, que nous suivons depuis des mois au cours de nos obsessions. Une partie n’ira pas voter. Ils seront durant toute cette campagne présidentielle le panel électoral des « Jours ». Un panel sensible qui raconte la difficile condition d’électeur.
François-Régis Croisier, connu sous le nom de scène de « Pain-Noir », ira voter « quand même » et dans tous les cas pour l’élection présidentielle de 2017. En citoyen de gauche, mais sans conviction. « S’il y a une place pour l’hésitation, je me sens concerné. J’irai voter mais avec un peu de dépit… » Il a toujours voté à gauche, à part pour Chirac en 2002, dit le musicien que nous suivons depuis plusieurs mois dans l’obsession Chant/Contrechamp. Il ne voit pas vraiment de candidat à gauche qui se détache aujourd’hui, à part Mélenchon. « Mais est-ce que ça a du sens de voter Mélenchon ? »
François-Régis Croisier, qui continue par ailleurs sa carrière d’instituteur en maternelle à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), est déçu de ne pas avoir été surpris par François Hollande. « J’avais voté Hollande sans grand enthousiasme, mais face à Sarkozy j’aurais pu voter pour n’importe quel candidat de gauche. Ensuite, quand on en attend pas trop… Mais François Hollande a quand même réussi à faire pire que mon peu d’attentes. C’est un peu fascinant. »
Quel que soit le candidat de la droite, je ferai toujours la différence entre lui et Marine Le Pen. Après, c’eût été plus facile de voter pour Juppé que pour Fillon.
Au second tour, s’il faut revoter à droite contre l’extrême droite, François-Régis Croisier le fera sans hésiter. « Malheureusement, ça sera nécessaire. Quel que soit le candidat de la droite, je ferai toujours la différence entre lui et Marine Le Pen. Après, c’eût été plus facile de voter pour Juppé que pour Fillon. Là, on est sur un ultralibéralisme dégueulasse ; c’est la peste ou le choléra. Mais je ne me pose pas la question, il n’y a pas d’hésitation à avoir, c’est juste le niveau de dégoût qui sera variable. »
À l’entendre, on comprend que pour lui, électeur de gauche, l’élection de 2017 sera une élection pour rien. Un mauvais moment à passer en attendant des jours meilleurs. « Ce qui est flippant, c’est de voir qu’aucun candidat ne se dégage à gauche, sauf Macron et Valls qui sont les tenants d’une gauche de droite. Ce n’est pas rassurant… Je ne crois pas que quelqu’un puisse apparaître. L’homme providentiel ne peut pas venir d’un parti installé parce qu’il y a un rejet de cette situation justement. » Il a l’impression que les gens ne veulent plus de partis installés. Mais « en même temps, ils sont prêts à se jeter dans les bras de gens qui font partie du sérail ». Il redoute un face-à-face entre François Fillon – « qui a quand même été le Premier ministre de Sarkozy » – et Marine Le Pen – « la fille de son père ». « On verra que les populistes, ça ne marche pas », prédit-il.
Il est blasé de repartir pour « cinq ans de médiocrité », mais se dit optimiste. La politique interroge en permanence son quotidien. « Quand on est instit, on est confronté à tous les gens et à toute la société. “Le peuple”, on le voit tous les jours. J’ai une classe dans une école très mélangée, située entre le quartier de la gare craignos de Clermont et le centre-ville bourgeois. Au niveau des élèves, on a donc un profil très mixte, avec les difficultés et tout ce qu’il y a à gagner à avoir des mélanges. Mais on voit aussi les problèmes familiaux, des choses vraiment dures. Et comme on est un des seuls référents pour les enfants, on a une place privilégiée, une position extérieure pour agir quand on le peut. »
Ces derniers temps, il sent malgré tout une tension supplémentaire. « On a l’impression qu’il y a une tension générale, que toutes les situations s’enveniment vite. La parole est comme décomplexée, les parents se sentent libres de dire des choses qu’ils n’auraient pas dites il y a quelque temps. » Il ne nomme pas explicitement le racisme et la montée des conservatismes, mais on le sent inquiet.