Les laboratoires pharmaceutiques arrosent tous les médecins, toutes spécialités confondues, à travers tout le pays. Pas d’exception, l’influence quasi systématique est devenue une règle de fonctionnement. C’est en substance ce que l’on peut retenir en se plongeant dans les arcanes de la base Transparence santé, que nous évoquions lors de l’épisode précédent à propos de l’affaire du Levothyrox (lire l’épisode 9, « Levothyrox : la bonne vieille formule de l’influence des labos »). Cette vaste base de données, mise en place après le scandale du Mediator, vise à mettre en lumière les « relations d’intérêts » entre labos et professionnels de santé. Elle répertorie donc les sommes d’argent versées aux médecins, infirmiers, mais aussi étudiants ou encore sociétés savantes à partir de 2012. Il reste cependant difficile de prendre la mesure de ce saupoudrage massif. Car les pouvoirs publics, qui ont organisé cette entreprise de transparence, ne sont pas allés jusqu’au bout. Ils n’ont pas obligé les laboratoires à tout déclarer. Et les industriels ont sciemment traîné des pieds.
Les laboratoires délivrent une information de qualité médiocre mais il n’existe pas vraiment de sanction, rien de dissuasif.
De premières estimations existent mais sont donc encore très incomplètes. Dans la base, les montants listés correspondent à des « avantages » (repas, hébergements, transports…) supérieurs à 10 euros ou à des rémunérations dans le cadre de conventions avec les laboratoires (congrès, essais cliniques…). L’association Regards Citoyens, qui milite pour l’ouverture des données publiques, a sorti sa calculette face aux tableurs : de 2012 à mi-2014, le montant des seuls avantages accordés aux professionnels de santé par le lobby pharmaceutique atteint près de 245 millions d’euros. Au doigt mouillé, l’organisation estime à « plus d’1 milliard d’euros le montant des cadeaux de l’industrie sur cinq ans, sans compter les sommes versées dans le cadre des conventions », selon l’un de ses administrateurs, Tangui Morlier.

Quelques recherches sur Transparence santé suffisent pour constater des dysfonctionnements. Prenons l’exemple du professeur Patrice Rodien, chef du service endocrinologie du CHU d’Angers et président de la Société française d’endocrinologie (SFE) : lors de l’épisode précédent, nous avons montré que la SFE était liée à Merck Serono, le laboratoire fabricant le Levothyrox. Son président l’est aussi. La base Transparence santé recense bien une liste d’« avantages » perçus par le professeur de la part de Merck Serono – au milieu de plusieurs autres laboratoires.