Comment survit-on à la présidence de Trump ? Martha, Dante, Joe, ces habitants de Chicago que Les Jours ont suivis pendant la campagne, organisent à leur manière une forme de résistance. Chaque semaine, l’un d’entre eux nous donne des nouvelles d’Amérique.
«Je suis d’une humeur particulièrement sombre, alors peut-être n’est-ce pas le meilleur moment pour raconter la manière dont j’essaie de penser et d’affronter les bouleversements du corps politique américain. Peut-être que cela m’aidera à mettre de l’ordre dans mes pensées.
Il y a trois choses que je fais régulièrement depuis le début de l’année : râler, protester et tenter d’accepter.
Râler. Je le fais à peu près tout le temps, et ça me libère. Ce qui est intéressant, c’est que je ne le fais pas qu’avec mes amis et ma famille, avec qui je suis sûre d’être d’accord, mais avec des gens dans le bus, d’autres clients à l’épicerie ou au restaurant. Je ne me confronte pas à des supporters du régime actuel, mais ceux-là sont difficiles à trouver dans la vie que je mène. C’est la fameuse bulle dans laquelle nous sommes accusés de vivre, mais je suis heureuse de voir que cette bulle est plutôt vaste.
Protester. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, donc pas bombardée comme je pourrais l’être par des demandes pour participer à des manifestations, signer des pétitions, écrire des lettres ou donner de l’argent. Je reçois quand même de nombreuses sollicitations de ce genre dans ma boîte mail, et j’essaie d’être responsable. Une fois par semaine, nous nous réunissons avec un groupe d’amis pour formuler des appels ciblés aux législateurs. Nous nous sommes concentrés sur les comités du Sénat qui participent au processus de nomination des membres du cabinet. J’incite d’autres gens à inonder d’appels mes sénateurs et je participe à des rassemblements et marches quand je suis prévenue assez tôt, et si je pense qu’il est important qu’il y ait une grande démonstration de résistance. J’ai des doutes sur l’efficacité de ce travail, mais je ne peux pas m’en empêcher.
Accepter. C’est le plus difficile à faire, mais j’y travaille. Peut-être cela m’est-il plus facile qu’à d’autres, car je suis assez âgée pour avoir assisté au flux et reflux d’autres programmes politiques. Si vous arrivez à distinguer la personnalité, clairement pathologique et destructrice, du président Trump de son programme politique, celui-ci est assez proche de ceux d’autres hommes politiques républicains. La restriction des financements aux ONG qui diffusent des informations sur l’avortement hors des États-Unis, en est un bon exemple : les républicains l’instaurent, les démocrates l’abrogent. Je m’attends à la nomination d’un juriste de droite comme Neil Gorsuch, dont le nom vient d’être proposé, pour occuper le poste vacant à la Cour suprême. Je m’y opposerai, tout en sachant que c’est une bataille que nous allons probablement perdre. C’est une lutte permanente.
Aujourd’hui, tout cela est secondaire, car je suis bouleversée par le décret sur l’immigration et les réfugiés. Hormis le fait que cet ordre n’aura aucune efficacité pour garantir la sécurité des gens, et qu’il mettra des nombreuses personnes en danger, je le perçois comme la dernière étape vers l’autocratie. Je sais que ce n’est pas nouveau d’utiliser la peur et la diabolisation de l’autre en Amérique, mais les crimes de haine contre les musulmans sont en augmentation dans le pays, et ce décret légitime ces comportements. Cela, associé aux attaques constantes contre la presse, nous oriente sur un chemin qui conduira au fascisme. Comment est-il possible qu’une moitié des personnes interrogées sur le Muslim ban l’approuvent ? Cela me choque et me rend très triste.
Je suis désolée de vous quitter sur des pensées si négatives. La prochaine fois, j’écrirai quelque chose de plus optimiste. »