On avait beau s’y attendre, le massacre commis par le Conseil constitutionnel sur la loi « immigration», et annoncé ce jeudi après-midi, impressionne. 32 articles sur 86 ont été censurés au motif qu’ils n’avaient rien à faire dans le texte (les fameux « cavaliers législatifs »), trois ont été annulés pour des raisons de fond et deux ont été assortis de réserves. Passent donc à la trappe la préférence nationale pour les cotisations sociales, les mesures durcissant le regroupement familial ou tout ce qui a trait à la nationalité. Le pire est évité, mais pour combien de temps ? Car le jeu auquel a joué la majorité, en négociant et faisant adopter un texte qu’elle savait inconstitutionnel, donne des arguments à la droite et l’extrême droite. Dès la publication de la décision, on a ainsi vu sans surprise débuter une campagne pour dénoncer la censure du peuple. Et si le gouvernement remet le sujet de l’immigration à l’agenda, ce qui est fort possible puisque, lors des négociations avec Les Républicains (LR), il a promis de présenter en 2024 une loi sur l’aide médicale d’État (AME), on ne sait pas comment va réagir le Conseil constitutionnel.
Quand on lit sa décision, on se rend compte que, quand ils le pouvaient, les juges de la rue de Montpensier ne se sont pas embêtés à argumenter sur le fond. Exemple avec les articles 3, 4 et 5 prévoyant un durcissement du regroupement familial. Après avoir rappelé que les « députés et sénateurs » l’ayant saisi reprochent aux articles « de méconnaître le droit de mener une vie familiale normale » et d’être « contraire au principe d’égalité devant la loi », ils écrivent que « ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles prévues par les articles initiaux du projet de loi déposé sur le bureau du Sénat ». Puis : « Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires. » Et hop à la poubelle les trois articles concernés.
Tout comme les articles 6 et 8 « modifiant certaines conditions relatives au lien que l’étranger doit avoir avec un ressortissant français ou un étranger titulaire de la carte de résident pour se voir délivrer un titre de séjour pour motif familial », les articles 9 et 10 « modifiant certaines conditions de délivrance d’un titre de séjour pour un motif tenant à l’état de santé de l’étranger », les articles 11, 12 et 13 « relatifs, d’une part, à certaines conditions de délivrance d’un titre de séjour pour motif d’études et, d’autre part, aux frais d’inscription des étudiants étrangers dans certains établissements d’enseignement supérieur »… À chaque fois, le motif est le non-respect de l’article 45 de la Constitution qui prévoit que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».