Un grand procès est fait de petites phrases. À celui des quatorze accusés des attentats de janvier 2015 qui s’ouvre ce mercredi, on aurait en principe dû entendre l’accusée-clé Hayat Boumeddiene, l’épouse religieuse d’Amedy Coulibaly, parler du « califat » de l’État islamique où elle est partie cinq jours avant l’attaque contre Charlie Hebdo (lire l’épisode 1, « “Charlie Hebdo”, 11 h 33, les visages se figent »). « Vivre dans une terre où la loi d’Allah s’applique est très satisfaisant », aurait-elle sûrement répété à la barre, comme dans l’interview qu’elle a donnée quelques semaines après son arrivée en Syrie à Dar al Islam, la revue numérique de l’État islamique (EI). Elle n’aurait pas manqué de saluer encore les actes de son mari, peut-on imaginer. C’est ce qu’on pouvait attendre de ce procès, toucher du doigt la substance du moment d’histoire ouvert par les attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher, cette étrange mystique sanguinaire et décomplexée, cette insupportable légèreté jihadiste.
Ce sera pourtant impossible, car Hayat Boumeddiene n’assistera pas à son procès. Elle est toujours recherchée et personne ne sait même si elle est encore en vie. Une jihadiste française a affirmé l’avoir croisée en octobre 2019 dans un camp de détention kurde en Syrie, dont elle se serait évadée. Sa trace a ensuite été perdue. C’est le problème de la cour d’assises : au-delà même de cette accusée emblématique, la seule à avoir connu les trois auteurs des massacres, ce procès est d’abord celui d’une légion d’absents, morts, disparus, recherchés ou « mis de côté » pour le moment. La cour d’assises spéciale n’a face à elle que onze accusés secondaires, comparses présumés. Pendant plus de deux mois, de ce 2 septembre au 10 novembre, l’audience risque donc d’être un théâtre d’ombres, alors qu’elle est considérée comme historique. Puisque ce crime a bouleversé le monde, il a en effet été décidé qu’elle serait filmée. Sera-t-elle à la hauteur des attentes ?
C’est de manière un peu virtuelle que la cour va décortiquer le dossier. Visée par un mandat d’arrêt, Hayat Boumeddiene sera ainsi jugée par défaut pour « association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre des crimes » et « financement du terrorisme ». La cour d’assises n’aura que des témoins (peut-être) et du papier, notamment celui des retranscriptions des écoutes téléphoniques réalisées sur les lignes d’une amie qu’elle a appelée du « califat » en avril 2015.

La veuve parle alors sur le ton qu’emploierait une midinette en vacances à Djerba.