Sous leurs manches longues, les trois accusés, jugés pour leur rôle dans la bagarre où Clément Méric est décédé, cachent le même tatouage. Une toile d’araignée autour du coude, présentée tantôt comme un signe d’appartenance au mouvement skinhead, tantôt comme la marque des piliers de bar. Ils partagent aussi des origines plutôt modestes, une certaine aversion pour l’école et une tendance frustrante à dépolitiser leur parcours, que cela relève d’une stratégie de défense ou d’un réel déficit culturel sur le milieu dans lequel ils grenouillaient. Deux demi-journées ont été consacrées, mardi et mercredi, à essorer les biographies d’Esteban Morillo, Samuel Dufour et Alexandre Eyraud, pour tenter d’en extraire la moelle. Cet exercice ambigu, impudique et forcément réducteur fait partie des passages obligés d’une cour d’assises. Au moment du délibéré, le jury ne pourra pas faire abstraction de ce qu’on appelle ici « le contexte » du crime. Les existences heurtées des accusés, avec ce qu’elles peuvent compter de traumatismes, de décisions et de hasards, ont vocation à être tordues vers l’éclairage ultime des faits.
Esteban Morillo, 25 ans aujourd’hui, est né en Espagne. « Mon mari n’est pas français, mon fils n’est pas né en France non plus et on a longtemps été immigrés », résume sa mère Colette, comme pour laver son fils des accusations de racisme. Esteban est encore bébé quand la famille, très soudée, s’installe dans un village de l’Aisne et rénove la maison où il vivra jusqu’à ses 18 ans. Sa grande sœur, longtemps « serveuse dans des cabarets », se déplace aujourd’hui en fauteuil roulant à cause d’une maladie. Son grand frère est plombier, comme leur père, qui quittait la maison « à 5 heures du matin » et revenait « à 8 ou 9 heures le soir ». « Depuis [s]es 10 ans », raconte l’accusé à la barre, Esteban Morillo veut devenir boulanger. C’est aussi à cet âge-là qu’il est violé par son prof de judo, même si personne ne paraît désireux de s’étendre là-dessus. Sa mère précise juste que l’homme a été condamné à « dix-neuf ans de prison ». « Plus attiré par la vie manuelle » que par l’école, Esteban Morillo arrête en troisième. Au Centre de formation des apprentis (CFA), il commence à fréquenter « des gens d’extrême droite » et à adopter leur look, qui lui vaut d’ailleurs de se faire agresser par plusieurs personnes en 2010, à la gare de Laon.

Si Esteban Morillo se livre autant que possible dans l’interrogatoire de personnalité, Samuel Dufour semble avoir du mal à mettre sa vie en boîte pour les besoins du procès.