C’est la fin du quai des Orfèvres, l’adresse policière la plus connue au monde avec Scotland Yard. Les brigades ont fait leurs cartons. La nuit est tombée sur les mansardes. Aux stups, l’unité Surdoses organise un apéritif pour célébrer son départ vers le quartier des Batignolles. Les bureaux sont vides ; la plupart des lumières éteintes. Un buffet sur tréteaux aligne saucissons, carottes en lamelle, bières et bouteilles de rhum. Dans la pénombre, je reconnais des visages aperçus au cours de l’année écoulée : recrues de la permanence, membres de la BRI (brigade de recherche et d’intervention), chefs de section… L’assemblée est à la fête. Personne, pourtant, ne se livre tout à fait. On devine sur les visages cette réserve propre à l’institution, gardée par le coup d’œil en hameçon – net, sans clémence, pareil à celui qu’on se jette à soi-même dans le miroir. Le commandant Patrick N., vêtu de son incontournable polo Fred Perry, me présente un vieil homme qui a des airs de Michel Polac dans ses jours de bonne humeur.
« C’est mon ancien chef ! Il m’a formé quand je suis arrivé à la brigade, il y a un quart de siècle…
Ouais, je t’ai plutôt déformé ! », corrige le policier à la retraite en se rapprochant du buffet.
Seul face au commandant, je lui pose une question qui m’intrigue depuis le début de mon immersion (lire l’épisode 1, « Le dentiste a fait une overdose, Omar l’a tué ») :
« Avant de m’accepter parmi vous, est-ce que quelqu’un a vérifié mes antécédents judiciaires ? Mon TAJ… ?
Ton TAJ ?
Ben, tu vois, non… On n’y a même pas pensé. Maintenant que tu m’en parles, je me dis qu’on aurait dû se méfier ! La hiérarchie l’a peut-être fait, pas nous. »
Le prochain chef adjoint sera une remplaçante… Les candidats ne se bousculent pas au portillon pour ce poste. Il y a le contact avec les cadavres et les soirs d’astreinte. On n’entre pas forcément aux stups pour ça…
En quête d’un endroit où fumer une cigarette, la gardienne de la paix Émilie T., que je surnomme « Front Kick », emmène dans son sillage une bande hétéroclite : une avocate à la silhouette frêle, une armoire à glace du 93, une joaillière aux yeux de velours et un autoentrepreneur malgache.