C’est une soirée fraîche de mai, je rejoins un vernissage dans une librairie du boulevard de la Villette, à Paris. Nuages de fumée bleue et gobelets en plastique fendus. Je reconnais quelques visages devant la vitrine. C’est une inauguration sans prétention, entre amis de longue date. Graphistes, enseignants, avocats, musiciens, sans oublier ces figures – les plus nombreuses – éternellement évasives sur leurs revenus, entre allocations chômage, subsides des parents et boulots occasionnels. Pour enrichir cet aréopage, un ami lieutenant de police est adossé à la boutique.
Ce vernissage présente le travail d’un photographe, Xavier, qui a séjourné plusieurs années au Brésil auprès du peuple nambikwara. Les invités considèrent rapidement les clichés avant d’attaquer le buffet : rosé bon marché, jambon de pays caoutchouteux, dés de gouda au cumin. Le lieutenant de police s’excuse déjà : une perquisition l’attend demain à l’aube, il doit se coucher tôt. À la sortie de la librairie, il tombe nez à nez avec un type portant un casque de moto. Les deux hommes s’observent. Après un instant de flottement, ils s’éloignent l’un de l’autre, sans se quitter des yeux. L’homme casqué s’avance vers Xavier.
« Le gars qui vient de sortir, y pue le schmitt à dix bornes !
Lui ? fait le photographe en pointant le lieutenant de police. Pas du tout, c’est un directeur de prod dans le cinoche…
Prod ? Quelle prod ? Prod de mes couilles, murmure le jeune homme. Y te fallait quoi, sinon ?
Pour trois, tu m’en fais deux pesés ?
Pesés ? C’est toujours pesé avec moi…
Arrête : deux pesés si j’en prends trois ?
Vas-y, c’est bon. »
Derrière les piles de livres, Xavier glisse une dizaine de billets bleus au jeune homme, qui lui remet plusieurs pochons blancs. À Paris, le prix d’un gramme de cocaïne oscille entre 60 et 80 euros.
« Allez, amigo, je t’en file quatre, tu m’as recommandé des clients, c’est normal. » Les paupières du jeune dealer frémissent sous le verre beurré de ses lunettes.