Mushina n’a pas remis son voile depuis les attentats du 13 novembre. Dans l’espace public, je l’avais toujours connue avec un foulard léger emprisonnant ses longs cheveux noirs qu’elle découvrait machinalement à l’intérieur des maisons. Mushina a habité pendant des années dans le quartier du Bataclan, dans le XIe arrondissement. Elle a déménagé en banlieue parisienne quand elle a eu une petite fille, il y a trois ans. Elle et sa sœur aiment ce quartier. Mushina continue à y travailler, à y faire ses courses quand elle a le temps au marché Richard Lenoir. Elle y garde des enfants. Elle s’y sent davantage chez elle que dans le Val-de-Marne, dans la banlieue sud-est de Paris, où elle vit. Elle a 32 ans, et est née à l’île Maurice. Musulmane, elle portait le voile depuis quelques années, après le pélerinage de son frère à la Mecque.
Quelques jours après les attentats parisiens, quand j’ai vu Mushina dans le quartier, j’ai tout de suite remarqué qu’elle n’était plus voilée. Pourtant elle n’était pas tête nue, elle avait sur la tête un gros bonnet de laine, large sur son visage délicat. Je suis allée la voir, on s’est embrassées et je lui ai dit : Tu as enlevé ton voile ?
Elle m’a fait signe que oui. On s’est regardées en silence. Il y avait autour de nous des enfants qui sautillaient, ce n’était pas le moment de discuter. Quelques jours plus tard, elle m’expliquait, avec sa douceur habituelle : C’est la première fois que je ressens ça. C’est la première fois que je me sens pointée du doigt comme musulmane. Ce n’était pas pareil avant. Je l’ai enlevé pour me sentir en sécurité.
Je ne sais pas exactement de quelle sécurité elle parle. Elle me dit qu’elle a peur pour elle et aussi pour sa fille.

Elle me raconte ce qui l’a décidée : quelques jours après le 13 novembre, elle était dans le RER pour rentrer chez elle. Elle a surpris une discussion entre deux hommes (des jeunes de mon âge
, précise-t-elle, comme si c’était pire) à la vue d’une femme en hijab. J’étais à côté et ils parlaient à voix haute, en disant qu’il fallait se méfier des femmes voilées, qu’elles pouvaient cacher des explosifs sous le voile. J’ai entendu ça, ça m’a fait peur.
Elle n’a pas dit un mot. Il y a eu aussi ces phrases entendues, dans les jours qui ont suivi les massacres. Dans la file d’attente d’une banque, au marché où elle empêchait le passage avec une encombrante poussette :