Il y a des rebondissements à chaque acte, d’irréductibles ennemis dans chaque famille mais aussi des néo-amoureux, des amants dans le placard cohabitant avec quelques cadavres en état de décomposition avancée. Des rires en cascade garantis. C’est sa semaine, c’est son heure et, espèrent-ils, son quinquennat : l’union de la gauche. On ne l’avait pas vue réapparaître depuis vingt ans et certains doutaient même de son existence et pourtant, remontant des âges farouches de Lionel Jospin qui, le dernier, l’enfourcha, elle repointe son museau. Plus précisément, l’union des gauches, ah oui. Et puis aussi des écolos. Enfin non, enfin oui, enfin peut-être. Et elle a un nouveau nom, ou du moins elle en aurait un (le conditionnel est peut-être plus prudent) : l’Union populaire, bien sûr, du nom du mouvement de La France insoumise pour la présidentielle, forte de ses presque 22 %. Heu non, en fait. Ce serait « l’Union populaire-gauche-écologistes rassemblés » (on a demandé s’il y avait un « s » à gauche, mais c’est pas sûr), du moins c’est la proposition des communistes. Parce que les écologistes, eux, seraient plutôt pour « le Front populaire écologiste et social » voire, concession supplémentaire, « l’Union populaire et écologiste ». Ce qui est sûr, c’est que c’est « le troisième tour », l’expression de Jean-Luc Mélenchon, et que c’est lui qui mène le jeu. Bref, le zbeul est total. On vous explique.
L’enjeu est de taille : s’unir entre partis de gauche et écolo pour tenter de remporter une majorité de sièges à l’Assemblée nationale les 12 et 19 juin prochains et ainsi forcer le tout frais réélu Emmanuel Macron à une cohabitation. Ce que Jean-Luc Mélenchon, en bon troll, traduit par « élisez-moi Premier ministre »
On ne va pas remonter aux dinosaures de type Lionelus Jospinex, donc
Mille babords ! Toute la gauche réunie ! Oui bon alors, pas tout à fait. Pas encore. Ça dépend des jours et de l’heure à laquelle vous posez la question. Quinze jours après, seuls LFI et Génération·s, le parti fondé par Benoît Hamon et aujourd’hui aussi riquiqui que son chat Floki quand il était petit, se sont crachés dans la main, jeudi 28 avril. Pour les autres, ça coince : à des degrés variés, avec une violence plus ou moins exprimée, mais ça coince. Avec EELV, les négos ont démarré le jeudi 21 avril. Sandra Regol, qui fait partie de la délégation écologiste, décrit auprès des Jours « un truc historique », et « fatigant » aussi : « C’est fatigant de faire en quinze jours ce qui n’a pas été fait en vingt ans. » Vu l’enjeu, Julien Bayou, lui, le secrétaire national d’EELV, parle carrément des « négociations du siècle », en référence à « l’affaire du siècle », la campagne de justice climatique. Et elles sont raides, les négos. Au point que, alors que ces choses-là, délicates, se font dans la coulisse, EELV décide de « tout mettre sur la table » lors d’une conférence de presse organisée mercredi 27 avril : « Nous avons le sentiment, dit Julien Bayou poliment alors qu’on sent d’autres mots affleurer sous sa langue, que La France insoumise cherche une coalition structurée sur la base de son seul programme. » Face aux journalistes et se servant d’un vieux placard moche comme écran, il projette les documents envoyés à LFI. Ce sont « 50 propositions pour un socle commun social et écologique » qui marient des idées de LFI, d’EELV et aussi des concessions des écolos, telle la retraite à 60 ans, alors que Yannick Jadot ne promettait, dans sa campagne, que de ne pas la reporter.
D’où ça coince, alors ? Deux heures avant la conférence d’EELV, La France insoumise s’est fendue d’un communiqué où elle « demande de la clarté » à ses potentiels partenaires écolos : « Désormais, EELV ne s’engage plus clairement pour la retraite à 60 ans pour toutes et tous, le blocage des prix du carburant et l’application du principe de désobéissance en Europe. » Là, les écolos s’étranglent : « Sur les retraites, nous avons acté notre accord, sur le blocage de l’essence aussi, s’il est est temporaire, rétorque Éva Sas, l’une des porte-parole d’EELV, et sur la désobéissance, nous avons demandé à mettre ce point hors de l’accord. » L’Europe est une vraie fracture : LFI veut pouvoir désobéir à des règles européennes sitôt qu’elles sont moins-disantes pour la population française. OK, répondent les écolos, mais « c’est un point de vigilance, nous ne voulons pas que ça conduise à la sortie de la France de l’Union européenne ». N’empêche, pour Bayou, « rien n’est insurmontable » mais dit-il, « la strat’, c’est une coalition, pas une invisibilisation ».
On est parti sur un scénario enthousiasmant, mais il y a un réflexe hégémonique de LFI. À force de brutaliser les relations, ils vont aller au clash.
En clair, avec ses 7,7 millions de voix de Mélenchon à la présidentielle, LFI jouerait les gros bras face aux 1,6 million de bulletins Jadot. C’est d’ailleurs sur cette base que les Insoumis envisagent la répartition des candidatures d’une éventuelle coalition et c’est là que ça coince très sérieusement. Quelque 160 circonscriptions sur 577 seraient gagnables : « Nous en demandions un peu plus de 30 %, explique Julien Bayou, on pourrait aboutir à 20 % mais la LFI nous dit “ah non, c’est 16 %”. » Soit, proportionnellement les résultats du premier tour. Auquel s’accrochent les Insoumis, ignorant par exemple le succès des écologistes aux municipales qui ont décroché huit des 42 villes de plus de 100 000 habitants
Pour autant, les négociations ne sont pas interrompues. Il fallait voir
Et le PS alors ? Mais siiii, vous savez, le Parti socialiste, François Mitterrand, la rose, l’abolition de la peine de mort… Non, toujours pas ? François Hollande, alors ? Mais si enfin, le Président de quand Emmanuel Macron était ministre de l’Économie. Voilà, ce PS-là. Enfin, plus tout à fait celui-là justement, puisqu’il s’est pris une déculottée historique au premier tour avec 1,75 % pour Anne Hidalgo. Bref, avec ce qui reste du PS et LFI, tout va… bien : surprise. C’est en tout cas ce qui est ressorti d’une première réunion mercredi à l’issue de laquelle Manuel Bompard et Pierre Jouvet, les deux négociateurs en chef de LFI et du PS, ont déclaré dans un bel ensemble l’un, qu’il n’y a pas « pas de point de discussion qui paraissait insurmontable » et l’autre, qu’« il n’y a pas entre nous de point de blocage insurmontable ». La preuve, ce vendredi, le PS a rendu publique une lettre de quatre pages sur les « douze marqueurs en discussion en vue de parvenir à un accord » voulus par LFI, en précisant sa position sur chacun d’entre eux. Et c’est OK sur tout : le smic à 1 400 euros ? Mais ouais, on y va ! La retraite à 60 ans ? On fonce ! Le rétablissement de l’ISF ? Aboule ! La VIe République ? Bien sûr qu’on est d’ac ! Et ainsi de suite pour la fin de la réforme de l’assurance-chômage « et des dispositions régressives introduites dans le Code du travail par la loi El Khomri et les ordonnances Macron »… Ce dernier point revenant à piétiner publiquement François Hollande, puisque c’est sous son quinquennat que cette loi a été votée. Tout juste le PS met-il, à la façon des écolos, un bémol sur l’Europe : « Nous refuserons de mettre en danger la construction européenne ou de laisser s’installer une fracture entre la France et l’UE », alors que le parti de Jean-Luc Mélenchon prône donc la désobéissance avec les règles de l’UE.
Mais à l’intérieur du parti, le boa LFI a du mal à passer, et le premier qui dit que ça a quelque chose à voir avec les haines recuites entre le PS et Mélenchon, depuis qu’il a quitté le parti en 2008, finira pendu avec les tripes de Manuel Valls au soir de l’avènement de la VIe République. Toute la semaine, des Jean-Christophe Cambadélis, Stéphane Le Foll et même François Hollande ont défilé dans les médias, dénonçant respectivement « une reddition », « un intérêt d’appareil à court terme », « une disparition » pour le PS. Quant à Carole Delga, présidente socialiste du conseil régional d’Occitanie, elle a carrément dégainé du Mendès France sur Twitter : « La morale en politique interdit que stratégie et convictions divergent, fût-ce pour des motifs d’opportunité transitoire. C’est ce que j’appelle la vérité. » À tous ceux-là, Olivier Faure (comment ça, « c’est qui ? », bah le premier secrétaire du PS, vous ne faites aucun effort) a gentiment proposé de prendre la porte, selon Le Figaro : « Si vous pensez que le PS est mort, qu’il n’y a plus rien à faire, que vous n’appartenez plus à la gauche, alors partez. Rejoignez La République en marche. Sinon restez et battez-vous avec nous. Ça nous changera. » Si vous trouvez que votre vie manque de sel, rejoignez le PS, y a moyen de rigoler.
Mais boumbadaboum, vendredi, quelques heures après l’envoi de la lettre d’amour des socialistes à LFI, à laquelle ne manquait que la promesse d’aller faire pipi sur la tombe de François Mitterrand tous les 10 mai, le PS annonce « suspendre les négociations avec La France insoumise ». « Nous souhaitons parvenir à un accord de toute la gauche et des écologistes […], mais pour y parvenir cela suppose une vraie logique partagée. Il faut rompre avec toute logique hégémonique et accepter la pluralité. À ce stade, nous n’en avons pas la garantie », explique le PS dans ce message interne rendu public par L’Obs. « Logique hégémonique » : on retrouve là les mêmes mots employés deux jours plus tôt par les écologistes. Visiblement, les socialistes sont entrés dans la tambouille des circonscriptions et, comme EELV mercredi, les discussions se grippent… Alors que ça s’arrange chez les écologistes qui, vendredi aussi, distinguaient « un accord en vue » avec La France insoumise, Sandra Regol, l’une des négociatrices EELV, parlant même d’une signature « aujourd’hui ou demain ».
C’est qu’il y a urgence. Pour des raisons de logistique d’abord : les imprimeurs pressent chaque parti de s’activer s’ils veulent leurs affiches de campagne à l’heure. Pour des raisons de plan B ensuite : en cas de déroute des négos, les différents futurs ex ont tous leurs propres candidats dans chaque circonscription. Pour des raisons symboliques enfin : en amorçant les discussions, tous se sont imaginés dans la rue, ce dimanche 1er mai, défilant bras dessus, bras dessous pour sceller cette union. Un rêve bleu : ils n’y croient pas mais c’est merveilleux.
Mis à jour le 2 mai 2022 à 08 h 36. Si ce n’est le 1er mai, alors ce sera le 7 que se tiendra un « événement commun », le tout premier de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale ». Tel est le nom de l’alliance conclue pour l’instant entre La France insoumise (LFI) et Europe Écologie - Les Verts (EELV). L’accord a été trouvé un peu avant minuit dimanche et adopté dans la foulée par le conseil fédéral d’EELV avant d’être mis au vote des militants écolos. Si, sur le programme, il ne semble pas avoir évolué depuis les négociations de la semaine dernière, l’accord réserve une centaine de circonscriptions à des candidats écologistes, dont celle visée par Sandrine Rousseau qui recouvre une partie du XIIIe arrondissement de Paris et avait fait l’objet de négos particulièrement âpres. LFI doit désormais poursuivre ses discussions avec le PS (ce lundi matin) et le PC (cet après-midi).