La première abonnée-actionnaire à pousser la porte des Jours pour la réunion de la Société des amis (SDA) a habité dans l’immeuble parisien où « le Grêlé » a assassiné sa première victime, du nom du serial killer dont l’histoire est racontée dans une des séries des Jours, par Patricia Tourancheau. Mais c’est son intérêt pour un autre personnage des Jours, le cost killer Bolloré qui avait conduit Marie à venir s’abonner aux Jours. Aujourd’hui, elle est membre de la Société des amis, comme environ 90 autres lecteurs qui ont souscrit ou sont en voie de le faire. Désormais, les abonnés des Jours peuvent en effet devenir actionnaires de leur journal (à partir de 200 euros, soit 4 actions). Ce mercredi, ils étaient une grosse vingtaine à la rédaction, pour la toute première réunion des Amis des Jours. Ces abonnés ont décidé de prendre part(s) aux Jours, et ainsi, d’en consolider l’indépendance. « Oui, nous allons prononcer ce gros mot ce soir », a prévenu Isabelle Roberts, la présidente des Jours.
Une heure avant, on a poussé les bureaux (et un peu rangé, aussi), contents d’accueillir ces fidèles soutiens. Et puis, comme le dit Isabelle : « Quand on a des amis, on les invite chez soi. »
On a besoin de vous pour être nos ambassadeurs, pour nous aider à gagner en notoriété, conquérir de nouveaux abonnés et nous développer.
Ils sont installés sur des chaises, femmes et hommes à parts égales, attentifs. L’équipe se tient devant eux, debout. Au mur, des affiches de nos obsessions, la marque de fabrique des Jours : « Les communicants », « La fête du stream », « Extrême Sud », sur le FN, ou encore « À l’avant des berlines », la série illustrée sur Uber. Isabelle rappelle les enjeux : nous avons presque 10 000 abonnés ; pour atteindre notre point d’équilibre, il nous en faut 6 000 de plus. Olivier Bertrand renchérit : « On a besoin de vous pour être nos ambassadeurs, pour nous aider à gagner en notoriété, conquérir de nouveaux abonnés et nous développer. »
L’économiste des médias Julia Cagé sera la présidente de la Société des amis. Avant même la naissance des Jours, à une époque où nous n’avions pas de locaux et où nous imaginions Les Jours futurs lors d’apéros de travail (si, si, c’était très productif), nous l’avions invitée à nous rencontrer. Sa réflexion sur l’indépendance des médias rejoignait complètement la nôtre, et sa complicité a conforté notre modèle économique. « C’est important que les journalistes soient actionnaires de leur média – ça, vous l’avez fait –, mais c’est aussi très important qu’ils ouvrent le capital aux lecteurs. » Comme elle le rappelle, cet engagement va au delà d’un crowdfunding, pour lequel le public contribue financièrement, mais sans être pleinement partie prenante. « Cela va plus loin », apprécie-t-elle : ici, les lecteurs prennent des parts. « Non seulement ils aident un média, à naître ou se développer, mais en plus, ils sont impliqués. »
La réunion de ce soir sert à jeter les bases du fonctionnement de cette Société des amis : quel rôle ? Quelle utilité ? Quel mode de communication ? Groupe Facebook, forum, boîte à idées ? Augustin Naepels, le directeur administratif et financier, s’excuse presque de faire un point juridique sur les statuts de la SDA. Mais ce n’est pas la peine de prendre d’élégantes précautions : « On entend beaucoup que c’est triste, le juridique, la finance, mais nous, on a choisi d’être actionnaires dans une société, cela nous intéresse de connaître ses règles de fonctionnement, et les bases sur lesquelles elle repose », intervient une participante (celle de l’immeuble du Grêlé).
Pour ce qui est de la gouvernance, par exemple, un conseil stratégique permettra d’associer les Amis des Jours aux grandes orientations de l’entreprise. Isabelle Saint-Saëns, chercheuse en informatique retraitée et engagée de longue date sur les questions de migration, sera, elle, membre du conseil d’administration (avec Julia Cagé et un représentant des Jours).
D’autres participants sont alléchés par la proposition formulée par Alice Géraud, la codirectrice de la rédaction : une fois par an, une conférence de rédaction des Amis des Jours permettra de discuter ensemble de plusieurs obsessions sur lesquelles les journalistes pourraient travailler. « Est-ce qu’il y a des thèmes que vous excluez ?, s’enquiert quelqu’un. Comme le sport, par exemple ? » « Aucun », répond-on en chœur. Les suggestions qui émaneraient de cette « conf de rédac » exceptionnelle seraient ensuite soumises au vote des abonnés. Cela revient à mettre sur des rails une obsession choisie par les lecteurs. Une envie que nous avions dès le début.
La plupart des présents sont volontaires pour aider ou participer à des évènements des Jours, à Paris et dans d’autres villes : débats, expos, rencontres… « On a fait une soirée de lecture des “Revenants”, (le texte de David Thomson, lauréat du prix Albert-Londres 2017, ndlr) dans un théâtre à Lyon, le mois dernier », rappelle Olivier Bertrand, qui aimerait reproduire ce genre de représentations inédites de séries des Jours lues par des comédiens. Pourquoi pas à Toulouse, très bientôt…
Comme Julia Cagé ou Isabelle Saint-Saëns, beaucoup dans le public sont des compagnons de route de la première heure. Certains ont contribué à la campagne de financement participatif que nous avions lancée en juin 2015, pour financer la construction technique du site, et apprécient de pouvoir nous accompagner depuis le début. Faustine est de ceux-là. À 28 ans, elle travaille à la SNCF, elle a « pris goût » aux obsessions et ne rate aucune de nos réunions. Damien, informaticien, 25 ans, est venu aux Jours en suivant les Garriberts. Tout comme Cyrille, traducteur de 44 ans, malheureux de ne plus pouvoir lire leurs articles ou ceux de Sophian Fanen dans Libé, après leur départ du journal. Attirés comme lecteurs, convaincus comme abonnés, ils ont décidé de s’engager davantage, avec « la volonté de participer à l’indépendance des Jours ». C’est à leurs yeux un argument déterminant. Gautier, étudiant de 23 ans en géoéconomie et intelligence stratégique, s’est d’abord intéressé au modèle économique, convaincu par Julia Cagé qui avait déclaré : « Si un industriel fait un chèque de 700 000 euros aux Jours, il s’achète un média. Si 700 personnes font un chèque de 1 000 euros aux Jours, ils offrent l’indépendance à un média. » « J’adhère totalement à ce qu’elle dit sur la transparence du financement, sur les conflits d’intérêts, la structuration du capital des médias. » Participer à la SDA, c’est « une manière de concrétiser ce modèle d’un financement participatif : avec des actionnaires-lecteurs impliqués, et en plus, je le fais pour Les Jours, que j’adore », dit ce jeune homme qui essaie de « tout lire », y compris les sujets qui ne l’intéressent pas au départ.
Un verre à la main, alors que des petits groupes se forment, que les mots circulent, Sophian et Roman discutent ensemble. Le journaliste et le lecteur ne se connaissaient pas ; les voilà qui papotent. « Tout est à imaginer, la SDA peut être autonome, fonctionner par elle-même, suggère Sophian. Les lecteurs qui sont plus que des lecteurs, c’est un rêve de journaliste. » Romain, lui, se demande comment il sera « utile, au delà du soutien symbolique ». Ingénieur statisticien dans une start-up, le jeune homme de 26 ans a connu Les Jours par deux personnes (dont il apprécie le goût) de son entourage qui lui en ont recommandé la lecture. Il a été conquis et a immédiatement répondu oui, « pour mettre des sous dans un média indépendant ». « Je suis fier d’en parler, je montre le site, je dis autour de moi que j’investis dans une société. Un média. Les Jours. » Voilà, c’est un peu pour ça que les amis sont précieux.
Nous nous sommes fixé un objectif de 100 000 euros de souscriptions pour la Société des amis des « Jours ». Nous sommes aujourd’hui à 85 000 euros de promesses de souscriptions et 107 futurs actionnaires. Mais nous avons encore besoin de vous. Prenez part(s) !