Les Jours, qui connaissent bien Vincent Bolloré pour lui consacrer une obsession rien qu’à lui, L’empire, ont décidé de se joindre au texte que nous publions ici. Cette tribune est signée par de nombreux journalistes, médias et sociétés de journalistes qui s’élèvent contre les procès à répétition qu’intente l’homme d’affaires à ceux qui osent se pencher sur ses activités.
Face aux poursuites-bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas !
Ce jeudi 25 janvier s’ouvre un procès contre trois journaux (Mediapart, L’Obs, Le Point) et deux ONG (Sherpa et ReAct), attaqués en diffamation par la holding luxembourgeoise Socfin et sa filiale camerounaise Socapalm, fortement liées au groupe Bolloré, Vincent Bolloré lui-même siégeant au sein de leur conseil d’administration. Les plaignants leur reprochent des articles relatant les mobilisations de villageois et d’agriculteurs ouest-africains voisins d’exploitations gérées par ces deux sociétés. Alors qu’hier [mardi 23 janvier] encore, le TGI de Paris déboutait la société Bolloré dans une énième plainte en diffamation contre le journal Les Inrocks, le procès de demain [jeudi 25 janvier] marque une nouvelle étape dans les poursuites judiciaires lancées par le magnat breton et ses partenaires contre des médias, des organisations non gouvernementales ou des journalistes, qui ont évoqué les coulisses de ses activités économiques et commerciales en Afrique, ses liens avec la holding luxembourgeoise Socfin et les conséquences des acquisitions de terre à grande échelle.
« Depuis 2009, plus d’une vingtaine de procédures en diffamation ont ainsi été lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger – pour contourner la loi de 1881 sur la liberté de la presse – contre des articles, des reportages audiovisuels, des rapports d’organisations non gouvernementales, et même un livre. France Inter, France Culture, France Info, France 2, Bastamag, Le Monde, Les Inrocks, Libération, Mediapart, L’Obs, Le Point, Rue89, Greenpeace, ReAct, Sherpa… Une cinquantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias, ont été visés par Bolloré et ses partenaires (voir la liste ci-dessous) !
Au vu de leur ampleur, nous estimons que ces poursuites judiciaires s’apparentent à des “poursuites-bâillons”. Ces procédures lancées par des grandes entreprises multinationales sont en train de devenir la norme. Apple, Areva, Vinci ou Veolia ont récemment attaqué en justice des organisations non gouvernementales ou des lanceurs d’alerte. En multipliant les procédures judiciaires dans des proportions inédites – quitte à les abandonner en cours de route –, le groupe Bolloré en a fait une mesure de rétorsion quasi-automatique dès lors que sont évoquées publiquement ses activités africaines. Ces attaques en justice contre les journalistes viennent s’ajouter à d’autres types d’entraves à la liberté de la presse dont est désormais coutumier le groupe Bolloré. En 2014, son agence de communication Havas avait par exemple tenté de supprimer plus de 7 millions d’euros de publicité au journal Le Monde, suite à une enquête sur les activités de Vincent Bolloré en Côte d’Ivoire. Sans oublier la déprogrammation ou la censure de plusieurs documentaires que Canal+ (groupe Vivendi) devait diffuser.
Ces poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de géants économiques comme le groupe Bolloré. Objectif : les dissuader d’enquêter et les réduire au silence, pour que le “secret des affaires”, quand celles-ci ont des conséquences potentiellement néfastes, demeure bien gardé. C’est l’intérêt général et la liberté d’expression qui sont ainsi directement attaqués. Les communautés locales, les journalistes, les associations, les avocats, ou les lanceurs d’alerte : tous les maillons de la chaîne des défenseurs de droits sont visés par ces poursuites.
Nous, collectifs, journalistes, médias, organisations non gouvernementales, apportons notre soutien aux journalistes et organisations qui comparaîtront les 25 et 26 janvier, et à tous les acteurs poursuivis dans le cadre de ces poursuites-bâillons. Des réformes devront être proposées en France pour imiter d’autres pays comme le Québec, ou certains États des États-Unis ou d’Australie, vers un renforcement de la liberté d’expression et une meilleure protection des victimes de ces poursuites-bâillons. Informer n’est pas un délit ! On ne se taira pas ! »
Signataires : Jean-Pierre Canet (journaliste), Benoît Collombat (journaliste, Radio France), Nadia Djabali (journaliste), Samuel Forey (journaliste, prix Albert-Londres 2017, L’Ebdo), Raphaël Garrigos (journaliste, Les Jours), Simon Gouin (journaliste, Bastamag), Maureen Grisot (journaliste), Élodie Guéguen (journaliste, Radio France), Pierre Haski (journaliste, Rue89), Thomas Horeau (journaliste, France 2), Dan Israel (journaliste, Mediapart), Erik Kervellec (directeur de la rédaction, France Info), Geoffrey Le Guilcher (Les Inrocks), John-Paul Lepers (journaliste, La Télé Libre), Julien Lusson (ancien directeur de publication, Bastamag), Jacques Monin (journaliste, Radio France), Jean-Baptiste Naudet (journaliste, L’Obs), Nicolas Poincaré (journaliste, Europe 1), Martine Orange (journaliste, Mediapart), Fanny Pigeaud (journaliste), Matthieu Rénier (journaliste, prix Albert-Londres 2017, France 2), Isabelle Ricq (photographe), Jean-Baptiste Rivoire (journaliste, Canal+), Isabelle Roberts (journaliste, Les Jours), Agnès Rousseaux (journaliste, Bastamag), Ivan du Roy (journaliste, Bastamag), David Servenay (journaliste), David Thomson (journaliste, prix Albert-Londres 2017, RFI), Nicolas Vescovacci (journaliste), Tristan Waleckx (journaliste, prix Albert-Londres 2017, France 2).
Médias et organisations signataires : Abaca Press, ActionAid France, AFASPA 95, Alternatives économiques, Association de la presse judiciaire, Attac France, Bastamag, Bondy Blog, collectif « Informer n’est pas un délit », collectif « On ne se taira pas », Collectif des associations citoyennes, Crid, France Libertés, Grain, Greenpeace France, Les Jours, Mediapart, Ritimo, ReAct, Reporters sans frontières, Sherpa, Survie, La Télé Libre, Union syndicale Solidaires, Sociétés des journalistes ou des rédacteurs de : AFP, BFM TV, Challenges, Les Échos, Europe 1, France 2, France 3, Le Monde, L’Humanité, Libération, L’Obs, Mediapart, M6, Premières Lignes, Radio France, RTL, Télérama, TF1, TV5Monde, La Vie.
Les procès en cours et à venir :
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Jean-Baptiste Naudet (L’Obs) : audience initialement prévue le 14 décembre 2017, repoussée à la demande du plaignant.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Geoffrey Le Guilcher (Les Inrocks) : plainte jugée irrecevable le 23 janvier 2018.
- Plainte en diffamation de Socfin contre Dan Israel (Mediapart), les associations ReAct et Sherpa : audience prévue les 25 et 26 janvier 2018 à la 17e chambre du TGI de Paris.
- Plainte en diffamation contre Nadia Djabali, Ivan du Roy, Agnes Rousseaux (Bastamag), ainsi que Rue89, et trois blogueurs ayant relayé l’article – Thierry Lamireau (enseignant retraité), Dominique Martin Ferrari (journaliste) et Laurent Ménard (ébéniste) : relaxe le 14 avril 2016, relaxe confirmée en appel le 9 février 2017, pourvoi en cassation de Bolloré (audience en juin ou septembre 2018).
- Plainte en diffamation contre Simon Gouin et Julien Lusson (Bastamag) : audience prévue le 2 octobre 2018.
- Plainte en diffamation contre Fabrice Lhomme et Gérard Davet (Le Monde) : relaxe le 3 décembre 2015, relaxe confirmée en appel le 22 septembre 2016, pourvoi en cassation de Bolloré.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Élodie Guéguen (France Info) : relaxe le 5 juillet 2016, appel de Bolloré (audience en attente).
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Benoît Collombat et Florence Sultan (Calmann-Lévy) pour le livre Informer n’est pas un délit : audience en attente.
- Plainte en diffamation de Socfin contre l’organisation Greenpeace : audience en attente.
- Plainte française en diffamation de Bolloré contre France 2 et Tristan Waleckx : audience le 3 avril 2018.
- Plainte camerounaise en diffamation de Socapalm (filiale Socfin) contre France 2, Nicolas Poincaré et Tristan Waleckx : audience en attente.
- Plainte commerciale en dénigrement de Bolloré contre France 2 (50 millions d’euros de dommages et intérêts) : audience en attente.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Mediapart et Fanny Pigeaud : audience en attente.
- Plainte préventive pour dénigrement de Bolloré contre le journaliste Nicolas Vescovacci (700 000 euros de dommages et intérêts) : audience en attente.
- Plainte en diffamation de la Socfin au Sierra Leone contre les organisations indépendantes Green Scenery (Sierra Leone) et Oakland Institute (États-Unis) en 2013 : procédure en cours.
Les poursuites passées :
- Plainte en diffamation de Bolloré contre l’Agence Ecofin (Agence africaine d’informations économiques et financières) : relaxe le 15 juin 2016, relaxe confirmée en appel le 7 juin 2017.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Maureen Grisot et Renaud Candelier (France Culture) : retrait de la plainte le 10 mars 2016 (21 jours avant l’audience prévue le 31 mars 2016).
- Plainte en diffamation de Bolloré et Socapalm (filiale Socfin) contre France Inter et Benoît Collombat : condamnation le 6 mai 2010 avec relaxe concernant la Socapalm.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre France Inter et Isabelle Ricq : retrait de la plainte le 18 juin 2010 (14 jours avant l’audience prévue prévue le 2 juillet 2010).
- Plainte en diffamation de Bolloré contre l’association Sherpa : retrait de la plainte le 5 juin 2013.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Benoît Collombat et David Servenay (Rue89) : retrait de la plainte le 7 janvier 2014.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Martine Orange (Mediapart) : retrait de la plainte le 9 décembre 2013.
- Plainte en diffamation de Bolloré contre Libération et Fanny Pigeaud : condamnation de Libération pour la légende de la photo en novembre 2014, relaxe de Fanny Pigeaud.