Corentin : Après les bilans, puis les bonnes résolutions, il est temps d’attaquer la nouvelle année. Au rayon des événements qui reviennent tous les janviers comme la gastro et la grippe, il y a un grand rendez-vous culturel dont tu vas nous parler, Thomas.
Thomas : Eh oui ! En janvier, c’est mon anniversaire !
[HAPPY BIRTHDAY DE STEVIE WONDER]
Corentin : Quoi ? Mais on avait dit qu’on parlait d’Angoulême là…
Thomas : Oui, mais y’a aussi mon anniversaire, quoi ! En plus, j’ai fait une liste Amazon, donc hésitez pas pour y piocher des cadeaux…
Corentin : Thomas, un peu de sérieux. J’ai notre échange de mails sous les yeux. Tu t’étais engagé à nous parler du Festival d’Angoulême, et de son évolution.
Thomas : Bon, OK. Mais c’est pas une raison pour oublier mon anniversaire, quoi…
Corentin : THOMAS !
Thomas : Comme chaque année depuis 1974, fin janvier, Angoulême devient pendant quelques jours la capitale mondiale de la BD, puisque la ville accueille le Festival International de la Bande Dessinée. Le FIBD est un rendez-vous important pour de nombreux acteurs du 9e art : auteurs, dessinateurs, éditeurs, libraires et bien d’autres s’y retrouvent.
Corentin : Tu dis auteurs, dessinateurs, éditeurs… il n’y a pas d’autrices, de dessinatrices ou d’éditrices à Angoulême ?
Thomas : Si, bien sûr ! Mais longtemps - en Europe en tout cas - la BD a été vue comme un milieu d’hommes. Du coup, les femmes ont mis du temps à s’y faire une place. A ce jour, une seule femme a reçu le prestigieux Grand Prix, qui récompense une carrière entière : Florence Cestac. En 2016, elle s’exprimait sur Europe 1 à ce sujet :
“Non, c’est un monde extrêmement masculin. C’est pas forcément machiste, mais c’est un monde effectivement extrêmement masculin et c’est vrai que c’est difficile d’y faire sa place en tant que femme. On y arrive mais quand même ils ont pris de très mauvaises habitudes.
Et là, en l’occurrence, ils avaient fait une liste de 30 noms dans laquelle il n’y avait pas une seule femme, et il n’y a pas eu une seule personne pour se rendre compte que ça posait un problème ?
Eh ben visiblement non ! Voilà ! Je sais pas fait la liste des noms et tout ça, mais visiblement, ça n’a dérangé personne.”
Thomas : Un peu de remise en contexte : en janvier 2016, la liste des 30 prétendants au Grand Prix est distribuée aux votants. Or, parmi ces 30 noms, aucune femme ne figure. Il aura fallu la démission de plusieurs auteurs présents sur la liste pour que soit intégrées 6 autrices. Notre consoeur Marie Turcan avait écrit à ce sujet dans Les Inrocks à l’époque.
Corentin : D’ailleurs, on la salue ! Et je m’en souviens de cette histoire, ça avait lancé le hashtag #WomenDoBD sur Twitter, où les internautes proposait des noms d’autrices et de dessinatrices notables, qui mériteraient effectivement le Grand Prix elles aussi. Y’avait beaucoup de dessinatrices de manga, d’ailleurs.
Thomas : Eh oui ! Parce que dès les années 1960, le métier de mangaka se féminise. D’où la profusion aujourd’hui de femmes dans le milieu de la BD japonaise. Ce qui me fait penser à un autre point polémique du festival.
Corentin : Ah ben décidément…
Thomas : Nan mais ce point est tout aussi important que la quasi-absence des femmes dans le palmarès. Il s’agit de la quasi-absence des non-Européens dans le palmarès. Pour un festival qui se veut international, il est quand même très tourné sur l’Europe, en particulier la BD franco-belge. Près de 80% des récipiendaires sont francophones (français, belge ou suisse), éludant des pans entiers de BD mondiale, à commencer par le Japon et l’Amérique du Nord, mais aussi l’Amérique Latine et l’Afrique.
Corentin : Oui, c’est sûr, si le “i” de FIBD n’existe que pour trois pays, ça la fout mal. On a une explication à ça ?
Thomas : Partiellement. Jusqu’en 2013, le Grand Prix était évalué par l’Académie des Grands Prix, qui réunissait tous les anciens récipiendaires. Au fil des ans, un entre soi de bonhommes habitués à la ligne claire célébrait donc l’un des leurs en lui décernant le prix.
En 2013, pour la première fois, on élargit le vote à tous les auteurs accrédités présents sur le festival. 25 noms sont proposés. Le récipiendaire sera choisi par l’Académie parmi les 5 noms les plus plébiscités. Ces 5 noms sont Alan Moore, Katsuhiro Otomo, Akira Toriyama, Chris Ware et Willem. Willem remportera le prix. Même si je ne crache pas sur l’oeuvre du dessinateur de presse, force est de reconnaître que l’Académie a voté pour le type qu’elle connaissait personnellement. Aussi, les bruits de couloirs du festival laissent entendre que certains membres de l’Académie refusaient de voir un mangaka recevoir le prestigieux prix.
Corentin : Mais du coup, Angoulême, ça n’est plus qu’un festival où des auteurs franco-belges se retrouvent ?
Thomas : Non, fort heureusement ! Après ces déboires, le festival commence à se mettre à la page. Les sélections pour les autres prix accordent une large place aux femmes et aux auteurs internationaux, qu’il s’agisse du Fauve d’or (pour le meilleur album), ou du prix du Patrimoine. Par ailleurs, depuis les années 2000, les expositions et rétrospectives organisées en parallèle du festival sont de plus en plus dédiées à des auteurs étrangers.
Corentin : Du coup, cette année, on pourra voir quoi ?
Thomas : Comme à chaque édition, le Grand Prix de l’année précédente a droit à une rétrospective. Il y aura donc une exposition sur le Suisse Cosey. Gilles Rochier, Jacques Martin (l’auteur d’Alix, pas le présentateur TV), Emmanuel Guibert et Titeuf auront également droit à des expositions. Forte du succès de ses BDs de vulgarisation scientifique, Marion Montaigne exposera des planches mêlant BD et sciences. Vous la connaissez d’ailleurs peut-être depuis que sa série Tu Mourras Moins Bête a été adaptée en shortcom sur Arte :
“Qui tutoie les prix Nobel et les savants ? Qui peut rétrécir voyager dans le temps ? Qui arbore sa pilosité sub-buccale et pense en dehors du bocal ? Ouaf ouaf ! Qui peut expliquer la radiation ? Qui contacte-t-on pour poser une question ? Le professeur Moustache !”
Côté jeunes talent, vous pourrez découvrir les travaux d’Oriane Lassus.
Et côté BD asiatique, le festival nous gâte avec pas moins de 4 expositions. On aura une rétrospective dédiée à Osamu Tezuka, le dieu du manga moderne. En écho, on pourra également admirer des planches originales de Naoki Urasawa dans l’expo qui lui sera dédié, sachant qu’il est souvent vu comme l’héritier spirituel de Tezuka. Le mangaka sera d’ailleurs présent lors du festival. Pour rendre hommage à Fairy Tail - dont le dernier volume sort en France en 2018 - Angoulême a également invité Hiro Mashima. Enfin, vous pourrez découvrir le talentueux Sonny Liew, auteur singapourien, à travers l’exposition qui lui est dédiée.
Corentin : C’est bien noté ! On le rappelle, le 45e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême se tient du 25 au 28 janvier, soit pas très longtemps après ton anniversaire. Merci pour toutes ces infos Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
Angoulême 2018 : remettons de l’international dans le « Festival international de la BD »
Entre manque de représentation des femmes et manque de représentation des artistes internationaux, l’édition 2018 du Festival international de la BD d’Angoulême est attendue au tournant. On fait le point avec Thomas Hajdukowicz.
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