Corentin : Il y a 7 ans, le Japon était frappé par une catastrophe sans précédent. Depuis, finalement peu de mangaka se sont emparés du sujet, qui pourtant continue de marquer les japonais aujourd’hui. Il y a évidemment quelques exceptions, et tu vas nous parler d’une d’entre elles, Thomas.
Thomas : Bonjour Corentin. Effectivement, comme tu viens de le dire, le 11 mars 2011, un séisme au large du Tohoku, dans le Nord-Est du Japon, allait provoquer de très importants dégâts dans la région de Fukushima. Le jour même, Thalassa, sur France 3, y consacrait une émission spéciale :
[Il est 14h46 au Japon, 7 heure moins le quart à Paris ce matin quand les bâtiments de la NHK à Sendai se mettent à trembler. Même scène de panique dans les bureaux de la préfecture. Plus de 2 minutes. L’estimation de 7,9 sur l’échelle de Richter est très vite revue à la hausse. Ce sera finalement 8,9, autrement dit le plus fort séisme que le Japon ait jamais vécu depuis la mise en place des outils de mesure il y a déjà 140 ans.]
Quelques minutes après le tremblement de terre, un tsunami allait déferler sur les côtes japonaises, causant des dégâts monstrueux, à commencer par la crise nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi. Aujourd’hui, on dénombre près de 16 000 morts, 2600 disparus, 6200 blessés et 139 000 réfugiés.
Corentin : Oui, on se souvient de ces images terribles. Pas très réjouissant en tout cas. Et donc, comment est-ce que la scène manga s’est emparé du sujet ?
Thomas : Très vite, les mangaka ont publié des messages et dessins de soutien, certaines et certains consacrant mentionnent la catastrophe dans leur intrigue, voire dédient un chapitre de leurs histoires en cours à l’événement. Mais concrètement, peu se sont attaqués de front à la catastrophe et à son traitement politico-médiatique sur place. Parmi les titres publiés en France, on compte le très fouilli Colère Nucléaire de Takashi Imashiro, et Au coeur de Fukushima de Kazuto Tatsuta. Et évidemment, il y a le manga qui nous intéresse aujourd’hui.
Corentin : Ne nous fais plus attendre, de quel manga s’agit-il ?
Thomas : Il s’agit de [pause, inspiration] Dead Dead Demon’s DeDeDeDeDestruction, ou DDDD, de Inio Asano. Et on en parle aujourd’hui parce que le volume 6 sort très bientôt chez Kana.
Corentin : Et donc, de quoi ça parle, ou plutôt, comment ça parle de la catastrophe de Fukushima, Dead Dead Demon’s DeDeDeDeDestruction ?
Thomas : Eh bien contrairement aux deux autres titres dont j’ai parlé, qui optent pour un ton plutôt documentaire ou journalistique, DDDD opte pour la science-fiction. En 2011, un vaisseau spatial s’écrase sur Tokyo et fait des dizaines de milliers de morts. Quelques années plus tard, une énorme soucoupe volante survole toujours la capitale japonaise. Entre temps, les tokyoïtes ont appris à vivre avec cette menace permanante. Dans ce contexte, on suit deux lycéennes, Kadode et Oran.
Corentin : Attends, je connais un peu le travail d’Inio Asano, et il me semble que son oeuvre tourne plutôt autour d’une jeunesse japonaise désabusée. Ca parle aussi de ça, DDDD ?
Thomas : Alors, oui, en partie. Tu penses sûrement à des titres comme Solanin, La Fille de la Plage ou Bonne Nuit Punpun. Kadode et Oran sont, comme tu le dis, désabusées. La première, un peu fleur bleue, est vaguement amoureuse de son prof principal. La seconde est plus excentrique et fascinée par les théories du complot. Pendant les premiers chapitres de l’intrigue, la soucoupe volante est plus un décor qu’une problématique véritable, et on observe le quotidien des deux héroïnes. Cependant, plus on avance, plus on commence à comprendre la complexité et la gravité de la situation, et d’autres personnages vont entrer en jeu.
Côté dessin, on est dans du Asano, avec un trait fin très précis, un souci du détail quasi-monomaniaque, et des personnages hauts en couleurs. On aura ainsi des designs “normaux”, mais aussi des personnages aux allures grotesques.
Corentin : On l’aura compris, la soucoupe volante qui plane au dessus du Japon, c’est une métaphore de la menace nucléaire post-Fukushima. Mais du coup, quelle position prend Asano à ce sujet ?
Thomas : On va dire qu’il est d’abord assez cynique. Car le portrait qu’il dresse du Japon de l’après 11 mars 2011 est peu glorieux. Les politiciens sont extrêmement mous, les industriels sont manipulateurs, et les médias se contentent de répéter tout ce que ce petit monde déclare. Fondamentalement, l’auteur est dégoûté par l’absence de réaction forte contre TEPCO, la compagnie exploitant la centrale de Fukushima, et par l’immobilisme de son pays.
En outre, au fil du récit, il soulève d’autres problématiques, comme la question des migrants. Car la soucoupe est peuplée d’extraterrestres cherchant à venir vivre paisiblement sur terre. Aussi, dans les pages, on croise également des groupes pro et anti extraterrestres. Et dans tous ces groupes, on trouve des extrémistes prêts à mettre en oeuvre des solutions personnelles plus radicales.
Corentin : Pas très réjouissant tout ça. Mais outre son cynisme, quelle position prend Asano ?
Thomas : Bon, déjà, il est d’accord pour dire que la crise nucléaire, les menaces de radiations et tout, c’est pas top. Mais il n’a pas d’avis arrêté sur la façon dont doit être gérée la crise. L’activisme politique semblant ne mener nulle part, on dirait qu’il penche de plus en plus pour l’anarchie, comme la fin du volume 6 le laisse entendre…
Corentin : C’est bien noté. Le volume 6 de Dead Dead Demon’s DeDeDeDeDestruction, c’est chez Kana, et ça coûte 7€45...
Thomas : J’en profite pour dire que c’est le dernier volume avant un moment, l’auteur ayant mis la série en pause pendant une petite année. Il vient juste de la reprendre fin 2017, donc le temps que ça arrive par chez nous… Il faudra s’armer de patience.
Corentin : Merci pour cette dernière info complémentaire, et à bientôt pour une autre chronique BD, Thomas !
Thomas : À bientôt !
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