Corentin : Shuzo Oshimi est un auteur de mangas marié à un concept : il adore vous faire mourir d’embarras. Et si vous adorez ça, réjouissez-vous : le premier tome d’Happiness, sa dernière oeuvre, vient de sortir. Benjamin Benoit, docteur es mangas chelous, est là pour nous en parler. Salut Benjamin.
Benjamin : Wesh wesh les amis suceurs de sangs. Oui. J’adore les mangas bizarres, j’aime pas les romcom, mais j’aime bien les mangas qui prennent les histoires d’amour à contrepied. Je pourrais vous citer un tas d’exemple, mais comme tu l’as dit, Shuzo Oshimi est un palmarès à lui tout seul. Et pour comprendre Happiness, il faut se pencher un tout petit peu sur les précédentes oeuvres du bonhomme.
C : Attention : cette chronique est placée sous le signe des OEUVRES QUI METTENT MAL À L’AISE.
B : Hééééé oui. Dans la presse généraliste et spécialisée, Oshimi et souvent cité avec Inio Asano comme les membres d’une nouvelle vague du manga. Asano, vous pouvez déjà en entendre une description dans la critique de Dead Dead Demon Dededede Destruction de Thomas Hajdukowicz. Un esprit queer, un trait génial et super détaillé, et une surabondance de dialogues foufous. Oshimi, lui, il fait toujours la même chose : ses histoires mettent en scène de jeunes adolescents qui traversent les turpitudes de cet âge. Je veux dire qu’il découvrent ce qu’on peut résumer à leur libido. Mais de manière flamboyante. Et très très négative. Les américains et les japonais expérimentent encore ce qu’on appelle la cringe comedy. La comédie du malaise, où l’on rit de l’embarras des personnages. Ici, c’est pareil… sans le rire.
Je vous fait un petit catalogue de ce que propose Oshimi. Dans Dans l’intimité de Marie, un jeune adulte nullos échange de corps avec la lycéenne qu’il a pris l’habitude de stalker.
[EXTRAIT SID MARCUS]
S’ensuit une montagne de situations embarassantes. Puis, dans Les Fleurs Du Mal, un lycéen nullos est littéralement perverti par une sociopathe de sa classe. Ils vont faire les 400 coups, faire les pires bêtises possible, toujours les payer, puis en faire des plus grandes encore. Ensemble, ils vont embrasser leur part sombre, incarner la noirceur de Baudelaire. Et bien sûr : moult embarras sera ressenti par les personnages et le lecteur.
C : Ce qui nous mène à Happiness, édité par la Kondansha depuis 2015.
B : Et dont le tome 1 vient de paraître en France chez Pika. Et, ô surprise, Oshimi parle encore de la même chose. Il fait un peu comme le réalisateur Mamoru Hosoda, qui, à chaque film, traite des mêmes thématiques avec des genres et des angles différents. Happiness est la deuxième oeuvre fantastique du monsieur. Elle parle de Makoto, encore un jeune lycéen nullos. Toujours le même personnage, quoi. Maltraité par ses pairs, curieux envers le sexe opposé mais ne parlant pas à grand monde de base. Son quotidien se voit chamboulé quand il se fait sauter dessus par une jeune femme qui lui plante ses crocs en pleine jugulaire. Il va se réveiller à l’hopital, devenir étrangement sensible à la lumière, et avoir envie de sang en permanence. Il va commencer à regarder de manière bien trop insistante l’entrejambe de certaines filles de sa classe… et les ennuis n’en finissent pas de commencer.
[EXTRAIT WOLF LIKE ME]
Makoto est en train de se transformer en vampire. En tout cas, il en ressent les symptômes tels qu’on les connaît. Il va provoquer divers incidents, et faire la rencontre d’une jeune fille aussi introvertie que lui… mais aussi réveiller la bête qui sommeille dans l’ado faiblard. Bon prétexte pour tabasser ses tortionnaires… puis les tortionnaires des tortionnaires. Hé oui, on est dans le Japon de l’Ijime, du harcèlement scolaire, thématique récurrente du manga moderne. C’est aussi une réalité sociale, parmi les nombreux effets de loupe effectués par Oshimi. Il raconte peut-être un peu toujours la même chose, mais elle n’en demeure pas moins réaliste et cruelle : les ados subissent un mal-être trop profond pour être supportable, les parents sont nuls, et il n’y a jamais personne pour aider à traverser ces chamboulements.
C : Mais alors pourquoi lire de telles oeuvres si elles sont si sombres ?
B : Tu viens de le dire, parce qu’elles sont sombres. Parce que le fantastique est un prétexte pour un sous-texte plus sociétal. Avec cette chronique, je veux davantage vous intéresser à Shuzo Oshimi qu’à Happiness. Ce premier tome, comme toutes les séries d’Oshimi, se lit trèèèèèèès vite. Parce que le monsieur cultive l’art de la fluidité extrême. Tu as rarement aussi peu conscience de tourner les pages. Ce premier tome ne fait que poser les bases de l’intrigue, et confronte un style rond à un ton bien plus sombre et naturaliste. Qui montre les corps, leurs maux et leurs pulsions. Dans la bibliographie d’Oshimi, Happiness commence comme ses autres séries, mais il peut être une bonne porte d’entrée à son univers.
C : Je te sens un peu mi-figue mi raisin, comme si tu avais envie d’être plus enthousiaste que ça.
B : C’est vrai, je vais prendre un exemple concret qui m’inquiète. Vous vous souvenez, tout à l’heure, je vous parlais Des Fleurs Du Mal ? Si c’est pas le cas... [clap clap] Oï!!! On se réveille ! Les personnages des Des Fleurs Du Mal ont, au fur et à mesure, quelque chose d’irritant. On a rapidement envie de leur mettre des baffes à tous les deux ! Un aller-retour bien franc par personne, comme ça, schlac schlac. Ils deviennent INSUPPORTABLES. C’était deux séries avant, et j’espère qu’Hapiness corrigera ça. L’avenir nous le dira.
C : Auteur prometteur, mangas qui se ressemblent, mais une intrigue vampirique qui donne envie, c’est le bilan d’Hapinness tome 1. Merci Benjamin.
B : On se retrouve la prochaine fois. Avant que l’amour n’envahisse les ondes !
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