Le retour de Lapinot
Corentin : C’est un des phénomènes de la rentrée bédé de cette année 2017 : Lapinot est de retour ! Et pour nous en parler, j’accueille Thomas Hajdukovich. Ça va Thomas ?
Thomas : Oui oui, ça va très bien ! Et comme tu l’as bien présenté, aujourd’hui, on va parler d’un comeback plutôt inattendu mais qui a fait plaisir aux fans de 9e art francophone : la sortie de Un Monde un peu Meilleur, le premier volet des Nouvelles Aventures de Lapinot. La BD est publiée chez l’Association, et est le fait d’un des piliers de la BD franco-belge actuelle, j’ai nommé Lewis Trondheim. Elle est mise en couleurs par Brigitte Findakly, qui est également l’épouse de Trondheim.
Corentin : Ca m’a l’air pas mal, tout ça, mais pourquoi est-ce que c’est un événement ?
Thomas : Eh bien parce qu’on avait plus eu de nouvelles de Lapinot, un des personnages phares de Lewis Trondheim, depuis plus de 10 ans. Et pour cause : dans le dernier volume de Lapinot en date, sorti en 2004, l’auteur fait mourir son héros dans un accident de voiture.
Corentin : Ah oui, c’est un peu radical…
Thomas : Ben oui : tellement radical que, du coup, y’a plus eu de nouveau volume jusqu’à maintenant.
Corentin : Alors comment est-ce qu’il s’y prend pour faire revenir son personnage à la vie ?
Thomas : C’est très simple : il fait comme si de rien n’était. Dès la première page de la BD, Lapinot discute avec son ami Richard. Richard lui propose d’aller chercher une autre version de Lapinot, si jamais il mourrait.
Corentin : Houla… c’est la première page, ça ? Je crois que je me suis fait un claquage de neurone à essayer de comprendre la phrase que tu viens de dire… Ils peuvent voyager dans des dimensions parallèles, dans Lapinot ? Comme dans Sliders, les mondes parallèles ?
Thomas : Alors, non. Par contre, il y a un Lapinot-verse. Mais on va y revenir plus tard. Bref, le fait est que Trondheim a apporté une solution simple à un problème simple. Plutôt que se perdre en théories foireuses pour expliquer la résurrection de Lapinot, il fait comme si de rien n’était. La seule référence tangible à ce précédent décès de Lapinot est le T-shirt un peu ringard qu’il porte, puisqu’il est noir, avec une tête de mort. Ca fait partie de son processus de création, de toute façon, comme il l’expliquait sur France Inter cet été :
« J’ai un dessin minimaliste et animalier. Je dessine assez vite, pas parce que j’ai envie, mais parce que je sais pas faire autrement et que je suis un peu paresseux, en fait. »
Corentin : Bon, on a compris, c’est vraiment pas la mort de Lapinot qui importe. Alors dans ce cas, de quoi ça parle, Un Monde un peu Meilleur ?
Thomas : Comme dans tous les albums précédents de Lapinot, on y suit… eh bien Lapinot et ses potes (notamment Richard et Thierry), à qui il arrive des trucs. Voilà. À la semaine pro…
Corentin : Attends attends attends… tu peux pas conclure une chronique comme ça, Thomas !
Thomas : Oui, bon, OK. Nan mais c’est parce que j’ai laissé du lait sur le feu, là, et…
Corentin : Thomas, un peu de sérieux !
Thomas : Oui, donc, bon, oui… Alors il leur arrive des trucs. En l’occurrence, après leur petit échange existentiel sur la vie et les dimensions parallèles, Lapinot et Richard assistent à un accident impliquant une voiture stationnée. Consciencieux, Lapinot laisse un message sur la voiture abîmée avec son numéro de téléphone, au cas où le propriétaire veut des explications. Peu de temps après, un type l’appelle. Sauf que ça n’est pas le propriétaire de la voiture, c’est Gaspard, un gars qui peut voir les auras des gens suite à des expériences pharmacologiques. Comme il peut voir à quel moins les gens sont méchants, il a peur. Du coup, il demande à Lapinot s’il peut squatter chez lui le temps que ces visions s’estompent. Car Lapinot est la seule personne avec une aura bienveillante.
Corentin : Ah ouais, quand même…
Thomas : Eh oui. C’est un des problèmes de ce nouveau volume de Lapinot : Trondheim a voulu en faire trop. Sont aussi abordées la peur du terrorisme, les chaînes d’info en continu et leur chasse au scoop, les applications de rencontre, le sentiment anti-musulman qui rend cinglé… On ne peut pas lui en vouloir : entre 2004 et aujourd’hui, le monde a changé. Or, comme Lapinot est un personnage de son temps – sauf quand il est dans des univers alternatifs – il faut aussi qu’il témoigne de l’époque.
Côté dessin, Trondheim a conservé son trait. Après tout, il l’a dit lui-même : même si les lecteurs ont dû attendre 13 ans pour découvrir de nouvelles aventures de Lapinot, lui n’a jamais cessé de le dessiner. Ne serait-ce que parce qu’on lui demande régulièrement le personnage lors de dédicaces.
Corentin : Je vois… Et donc, ces histoires de Lapinot-verse et d’univers alternatifs, tu vas nous en dire plus ?
Thomas : En fait, depuis sa création en 1992, le personnage de Lapinot a évolué dans une multitude d’histoires indépendantes les unes des autres : fantasy dans Les Carottes de Patagonie, cape et épée dans Mildiou, western dans Blacktown… On a même eu droit à un volume très yéyé inspiré du Spirou des années 50-60 avec L’accélérateur atomique. Certes, l’histoire du Lapinot évoluant dans notre univers contemporain servait de fil rouge, mais le fait est que le personnage et ses amis existent dans d’autres univers. Ma théorie – et je ne pense pas être le seul à l’avoir – est donc que “Un Monde un peu Meilleur” se déroule dans l’univers parallèle dont parle Richard au début de l’histoire : Lapinot n’a pas eu son accident de voiture. Par contre, tous les autres événements de La vie comme elle vient ont eu lieu.
Corentin : Et du coup, malgré un scénario un peu fouilli, c’est bien ?
Thomas : Ah ben oui, c’est bien ! Bon, évidemment, ça va d’abord plaire aux fans de la série. Mais comme le souligne l’auteur, il s’agit d’un reboot. Pas la peine d’avoir lu les volumes précédents pour comprendre ce qu’il se passe. Par ailleurs, posséder cette BD, c’est posséder un morceau de l’histoire éditoriale de la BD en France.
Corentin : Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes encore ?
Thomas : Je vais faire vite parce que sinon on y est encore demain, mais il faut savoir que quand il fait mourir son personnage, Trondheim est à un tournant de sa vie professionnelle. Au début des années 2000, il décide d’arrêter de dessiner de la BD pour se consacrer à des projets d’animation et surtout d’édition. Il lance la collection Shampooing chez Delcourt, connue pour avoir édité le blog de Boulet, il crée le Fauve, la mascotte qui sert de prix à Angoulême… En fait, il laisse un peu de côté ses séries phares (Lapinot, mais aussi Donjon) pour tester d’autres trucs.
Et donc, après avoir testé – et réussi – toutes ces nouvelles choses, Trondheim est revenu à la maison d’édition qu’il a cofondé et qui l’a fait connaître, l’Association. Pour relancer les finances d’une maison qui commence un peu à prendre l’eau, il propose de sortir un nouveau Lapinot, pour le plus grand bonheur de tous.
Corentin : Ah. Alors du coup, c’est un one-shot ?
Thomas : Pas forcément. Trondheim a déjà annoncé qu’il avait un scénario pour un second volume de ces nouvelles aventures. Mais il le dit lui-même : il n’a pas de vision à long terme pour cette série, pour l’instant. Et si ça s’arrête au bout de 2 volumes, on peut toujours faire confiance à Pierre, le fils de Lewis Trondheim, pour redynamiser la série :
« Eh Papa.
Oui ?
Tu m’as dit que t’allais à San Diego, au Comic-con ?
Demain j’y vais.
Je peux venir ?
Non tu vas pas y aller ! T’imagines le prix que ça coûte ? Et en plus de ça, t’as pas eu une année scolaire super super…
Mouais, mais… steuplaît !
Non, hors de question, jamais de la vie !
OK, ben dans ce cas, quand tu seras mort et que j’aurai les droits sur Lapinot, je le ferai dans une BD où il serait à poil sur des rollers et il avancerait en pétant. »
Corentin : Si ce volume sort, je l’achète direct ! En attendant, le dernier Lapinot, Un monde un peu meilleur, écrit et dessiné par Lewis Trondheim, est disponible chez l’Association. Merci Thomas !
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