C : Culture dans vos croissants, culture pop japonaise… encore ? Que nenni. Culture universelle. On appelle notre spécialiste en bande-dessinées déprimantes, Benjamin Benoit.
B : Coups, meurtres, têtes arrachées, etc etc… vous connaissez la chanson. Mais vous commencez à connaître mes goûts, chers auditeurs. Ici, on aime les oeuvres intimistes, complexes, crépusculaires. Et un auteur japonais revient dans l’actualité pour notre plus grand plaisir. Thomas en avait déjà parlé dans une chronique sur le manga Dead Dead Demon Dededede Destruction, que vous pouvez réécouter dans le brunch. Ca fera un bon complément.
C : Ah, ça veut dire qu’on va reparler d’Inio Asano. C’est l’un des mangaka favori des Croissants.
B : À raison. Toutes les oeuvres d’Inio Asano sont au minimum très bonnes. Dededede, La Fille de La Plage, Bonne nuit Punpun. Tout ça a les mêmes constantes. C’est sublime dans le trait, c’est ultra détaillé, le découpage est fantastique. Il y a eu la nouvelle vague, le nouvel Hollywood, j’espère qu’un jour Inio Asano fera rétroactivement partie du nouveau manga. Ce sont des oeuvres habitées par une grande licence poétique et onirique, donc assez profondes, assez verbeuses, dans un sens ou dans l’autre.
Et il y a un petit quelque chose de queer avec Inio Asano. Lui est récemment marié, mais il sait représenter des personnages qui sortent de la norme, de toutes les normes, et il a cette manière de narrer des histoires de travers, en prenant des pas de côtés. Tous ses mangas parlent de gens déphasé, désoeuvrés, en décalage avec leurs milieux respectifs. Bref, Asano parle aux solitaires, aux perdus, aux dépressifs, bon délire !
C : Et même s’il passe parfois par la science-fiction, les oeuvres d’Asano s’inscrivent profondément dans le réel.
B : D’une manière ou d’une autre, elles racontent la vie. La vie au Japon, la vie des étudiants, la vie des lycéens, la vie des quadra, la vie des mangakas. On va y revenir… la plupart de ces mangas sont disponibles chez Kana. Sauf La Fille de la plage, chez IMHO, où on trouve des scènes de sexe explicite entre collégiens… qui sont mystérieusement devenus des lycéens en VF... et une case scato en plus, allez c’est cadeau je vous la met, je comprends que Kana ait eu peur. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de deux choses bien précises. Numéro 1 : une réédition de Solanin.
MORCEAU SOLANIN
Solanin, précédemment en deux tomes, a été réédité par Kana en un seul volume, idéal pour le découvrir, le redécouvrir ou l’offrir. Toute la recette Inio Asano est concentrée dedans - on suit un jeune couple un peu à la dérive face aux affres de la vie, mais l’intrigue tourne autour d’un groupe de musique. Il y a un gros twist au milieu, vous passez la seconde moitié à pleurer un bon coup, et c’est comme Scott Pilgrim, je peux vous garantir que le lire à 20 ou 30 ans ce n’est pas la même chose ! Solanin est une oeuvre dont la beauté est intestine, c’est rempli de poésie, d’onirisme bref vous l’avez deviné : c’est très très très bien, qu’on se le schtroumpfe.
Mais Inio Asano, entre deux pauses, publie aussi quelques oeuvres courtes. Errance en fait partie.
B : C’est son plus récent, ça date de 2017 et Kana vient de le publier. Ca parle du métier de mangaka, et autant vous dire que c’est, assez clairement, une mise en abyme. On ne peut pas parler d’autofiction, et j’espère bien que ce n’en est pas une vu ce qu’on y lit. Mais il est évident qu’Asano se projette fort dans le personnage principal d’errance. Un indice : il a redessiné son atelier dans ce manga.
C : A t’entendre, Inio Asano n’est pas quelqu’un qui donne l’impression d’être très tendre envers lui-même.
B : Tu l’as dit bouffi. Asano a 40 ans. Et, surprise, il met en scène un mangaka de 40 ans, qui a connu la gloire après une série à succès qui vient de se terminer. Coincé dans un mariage qui ne va plus nulle part, il vivote en attendant de, peut-être, retrouver la flamme. Il dit à qui veut l’entendre qu’il déteste le manga, et passe son temps à commander des escort girls. Un jour, il tombe sur une fille au visage félin, et, après une nuit d’amour, commence un début d’interaction entre les deux personnages. Ca ne va pas durer longtemps, ça ne va pas aboutir à grand chose, rien ne dit que ça a fait du bien à qui que ce soit, mais je vous invite à lire Errance pour voir de quoi il en retourne.
C : A t’entendre, ça ne donne pas tant envie que ça !
B : C’est compliqué parce ce que je ne conseillerais pas du tout Errance pour découvrir l’oeuvre d’Asano. Déjà, c’est sombrissime. Vous pourrez trouver ça un peu gratuit. Mais on a l’impression qu’Asaso peste contre son propre métier comme un internaute ferait un post sur Medium : il semble plus s’adresser aux autres mangakas qu’au public. C’est osé, parce qu’il parle des fans, des fans toxiques surtout, des questions un peu moyennes des journalistes… et il fait la description d’un personnage profondément malheureux mais qui est très loin d’avoir un comportement irréprochable. Plus jeune, une de ses ex l’a traité de monstre… vous verrez pourquoi.
Errance, d’Inio Asano, c’est de l’autoflagellation. Je ne sais pas ce qu’il expie, mais c’est clairement le portrait d’un homme en souffrance plus que d’un auteur en souffrance. C’est pas forcément une démarche très engageante, même si elle reste représentative de son oeuvre. C’est toujours bien si vous êtes fans du monsieur, et je trouve très difficile de ne PAS être fan d’Inio Asano.
C : Vous l’avez compris, Errance, c’est pour les coeurs bien accrochés, et ceux qui n’ont pas peur des oeuvres très cyniques. Dans le fond, ce n’est pas très loin du dernier Lars Von Trier, par exemple… vous voilà prévenus.
B : Pas d’inquiétudes, il y a pire : je crois que le personnage éponyme de Bonne Nuit Punpun est le plus sacrifié que je connaisse du medium manga. On pense à lui. Et à Kana, qui est très loin d’en vendre par palettes. Alors je compte sur vous ! A la prochaine.
Traversée du désert émotionnel pour les personnages d’« Errance »
Aux « Croissants », on aime beaucoup le mangaka Inio Asano. Et ça tombe bien, puisque deux de ses titres, une réédition et un inédit, sortent en même temps chez Kana. Benjamin Benoit nous présente « Solanin » et « Errance », et nous dit tout le bien qu’il pense de l’auteur.
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