C : Nombreux sont les films “inspirés d’une histoire vraie”, mais celle de BlacKkKlansman est tout bonnement incroyable. En 1978, un policier noir réussit à infiltrer le Ku Klux Klan, groupuscule d’extrême-droite raciste, connu pour ses tenues blanche à capuche. C’est cette histoire dingue que le réalisateur américain Spike Lee a décidé d’adapter. BlacKkKlansman est en salles depuis le 23 août et Morgane Giuliani l’a vu pour nous, bonjour Morgane !
M : Bonjour Corentin ! BlacKkKlansman se déroule dans les années 70, où les luttes pour les droits civiques font rage. Il y a un décalage saisissant entre l’atmosphère peace and love, avec pantalons pattes d’éph’, coupe afro et cols à pelle à tarte, et la révolte, légitime, qui habite une partie grandissante des Noirs-Américains. Leur révolution se fait avec des meetings enflammés, des poings en l’air, et un slogan choc qui répond à celui des suprémacistes blancs : “Black power”.
EXTRAIT 1
M : C’est dans ce contexte qu’on rencontre Ron Stallworth. Ce jeune noir-américain rêve depuis son enfance de devenir policier. Il devient le premier inspecteur noir de sa ville, et parvient à rejoindre le service des infiltrés. L’une de ses premières cibles est le Ku Ku Klan.
C : Oui mais en tant que Noir, impossible pour lui de les rejoindre ! Comment il fait ?
M : Ron s’occupe d’entourlouper le KKK au téléphone, en se faisant passer pour un raciste voulant les rejoindre. Son collègue Filip, grand blanc joué par le génial Adam Driver, se rend à sa place aux réunions de la branche locale.
C : À t’entendre Morgane, on s’attend à un film ultra tendu.
M : C’est le cas. Mais le film est aussi très drôle. Quoi de mieux pour décrédibiliser une cause que de la tourner en dérision. La plupart des membres du KKK nous font rire car ils sont présentés comme sont des idiots absolus, méchants, pas éduqués. Mais derrière le rire, il y a toujours quelque chose de sérieux, et c’est ce contre quoi Spike Lee veut nous mettre en garde. Les membres du KKK sont portés sur les armes, obsessionnels dans leur haine, qui, au fond, ne repose sur rien. Leur conception du monde est minuscule, portée par un ego surdimensionné malsain, qui se traduit par la conviction de la supériorité de la race blanche. La haine des Noirs et celle des Juifs se mélangent dans un méli-mélo raciste insupportable, avec une bonne couche de conspirationnisme désespérant par-dessus.
EXTRAIT 2
C : Le film met aussi en garde contre les devantures polissées.
M : Dans sa filature, Ron apprend qu’il ne doit pas parler de “Ku Ku Klan” mais de “l’Organisation”. Le mot “KKK” fait peur à l’opinion publique, ses membres l’ont bien compris, mais derrière le nouveau nom plus neutre, un peu intrigant, se cachent les mêmes idées nauséabondes. Vers la seconde moitié du film apparaît David Duke, le responsable national du KKK. Petit blondinet poli et propret sur lui, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Ron commence à entretenir une correspondance téléphonique poussée avec lui. Leurs conversations sont à la fois drôles - parce que Ron arrive facilement à le manipuler - et glaçantes compte tenu des propos racistes de David Duke.
C : BlacKkKlansman avait été présenté en compétition officielle à Cannes.
M : Il y a été unanimement acclamé, mais est reparti bredouille. Le film dure plus de 2 heures, et c’est bien ce qu’il fallait pour cette période complexe, dont on ressent encore fortement les secousses aujourd’hui. BlacKkKlansman illustre le sentiment d’impunité qui règne déjà à l’époque chez de nombreux policiers, procédant à des contrôles aléatoires, violents et dégradants, d’Afro-Américains.
C : C’est un film militant, qui s’assume tel quel.
M : Depuis toujours, son réalisateur Spike Lee est engagé dans la lutte contre le racisme, et pour la célébration de la culture afro-américaine. Pour la production de BlacKkKlansman, il a fait appel à Jordan Peele, réalisateur et scénariste de Get Out, film d’horreur où il est question de racisme et d’eugénisme, Oscar du meilleur scénario en 2017. Mais Spike Lee n’est pas un séparationniste. Il croit au vivre-ensemble. Si son aversion pour le KKK est évidente et bien normale, il remet aussi en cause, subtilement, la tentation d’aller dans l’autre extrême. Les militants pro-black power montrés dans le film sont un certain nombre à défendre une nouvelle guerre civile entre blancs et noirs. Ron, joué par John David Washington avec un mélange de détermination et charisme, défend une autre voie, celle du changement par l’intérieur. Sûrement plus long, mais plus pérenne, la seule qui puisse apporter une véritable révolution. À travers le personnage de Ron, on croit entendre l’opinion de Spike Lee.
C : Mais la fin du film bascule dans une violence extrême. Celle de l’Amérique de Trump.
M : Une fois l’intrigue achevée, le film se transforme en mini-documentaire, le temps de quelques minutes. Sont alors diffusées très images très dures de la manifestation de Charlottesville, en août 2017. Rappelons les faits. Un rassemblement de l’extrême-droite américaine a été perturbé par des centaines de militants anti-racistes. Un homme, suprémaciste blanc, a foncé dans la foule avec sa voiture, renversant plusieurs personnes. L’une d’elle, Heather Hayer, a perdu la vie à l’âge de 32 ans. C’est sur son visage que se terminent les images. On voit aussi David Duke, l’ancien patron du KKK, qui se félicite de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. En ramenant d’un coup le public à notre époque, Spike Lee rappelle que le racisme politique et les violences policières sont toujours d’actualité. On est presque plus horrifié de ces quelques minutes intenses de haine, que par le film, où l’humour contrebalance la terreur.
C : Est-ce qu’on va voir BlacKkKlansman ?
M : Absolument. C’est un film nécessaire, comme un manifeste politique pour Spike Lee. C’est un film historique : on en apprend plus sur le mouvement Black Power, et le KKK. C’est un film violent, il faut s’y tenir prêt. Derrière l’humour, il y a des images horribles. Spike Lee diffuse des extraits de Naissance d’une nation, film américain sorti en 1915, pro-esclavage, racontant la guerre de Sécession, et outil de propagande du KKK. Spike Lee fait raconter, en parallèle, l’assassinat d’un jeune noir qui a suivi la diffusion du film à l’époque. C’est le chanteur et militant pour la paix Harry Belafonte, 91 ans, qui raconte cet événement tragique, et on en a encore des frissons.
C : BlacKkKlansman est en salles depuis le 23 août. Merci Morgane Giuliani et à très vite !
« BlacKkKlansman » : le manifeste antiraciste de Spike Lee
Grand Prix du Festival de Cannes 2018, le nouveau film de Spike Lee, « BlacKkKlansman » raconte l’histoire d’un policier noir en infiltration au sein du terrible Klu Klux Klan. Morgane Giuliani l’a vu et nous dit ce qu’elle en a pensé.
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