C : Parfois, certains films sont maudits jusqu’à la pellicule. Galère de casting, de réalisateur, de scénario, de décors : quand ça veut pas, ça veut pas. La préparation de Bohemian Rhapsody, biopic de Freddie Mercury, chanteur du groupe Queen décédé en 1991, a été jalonnée de difficultés et ce, pendant des années. Mais The Show Must Go On comme l’a très bien dit l’intéressé. Morgane Giuliani est là pour nous parler de ce film sorti en salles le 31 octobre, bonjour Morgane !
M : Bonjour Corentin ! Il aurait fallu plus d’un rituel cosmique à coup de cristaux magiques pour sauver la peau de Bohemian Rhapsody, dans les tuyaux depuis 2010. Il y a eu des problèmes de réalisateurs, Bryan Singer, réalisateur de plusieurs films X-Men, a été viré en cours de route, remplacé par Dexter Fletcher, mais il est le seul crédité. Trouver l’acteur parfait pour incarner le grand Freddie Mercury a été un sacerdoce. Après Sacha Baron Cohen et Ben Whishaw, qui ont tous deux quitté le projet, c’est finalement l’Américain Rami Malek qui a été retenu. Il est notamment connu en tant que Mr Robot, de la série de cyber-espionnage du même nom. Et heureusement qu’il est là, car seule sa performance fait tenir ce film bancal, qui souffre de gros problèmes de rythme et de fainéantise sur le fond.
C : Au lieu d’un chorégraphe, il a été aidé d’une coach en mouvement.
M : Je ne savais pas que ça existait, mais visiblement, c’est un vrai métier. Grâce à elle, Rami Malek se glisse avec brio dans la peau de Freddie Mercury, le menton haut et fier, les dents qui débordent de la bouche, le dos raide mais le déhanché prononcé. Dans les scènes de live, il est ce mélange de sexualité et de force, levant le poing en l’air ou tapant la barre du micro sur ses cuisses.
EXTRAIT 1
C : Bon, dis comme ça, ça ne semble pas super bien amorcé.
M : D’un côté, il faut reconnaître que la tâche était immense, puisque la vie de Freddie Mercury, l’une des plus grandes rockstars de notre temps, n’avait encore jamais été adaptée à l’écran. Il a été l’un des premiers artistes pop à l’allure androgyne, est rapidement devenue une icône. Mais son génie se retrouvait parfois effacé au profit de ce qui était vu comme un scandale à l’époque : son homosexualité, qu’il a longtemps gardée secrète. Bohemian Rhapsody raconte la montée fulgurante puis la descente aux enfers de cet homme brillant et charismatique né dans une famille de fonctionnaires traditionnelle, qui a fui la Tanzanie.
C : Le chanteur fait tout pour fuir ses racines.
M : Il anglicise son nom, se fait appeler Freddie Mercury au lieu de Farrokh Bulsara. Il désobéit à son père, qui voit d’un très mauvais oeil ses soirées dans des bars à écouter du rock. On aurait pu avoir des discussions profondes entre un père et un fils qui n’ont pas la même culture et des vies diamétralement opposées. Mais on se retrouve avec des échanges de poncifs lourds et donc, absolument pas émouvants. Comme si le père et le fils se parlaient avec un logiciel de phrases toutes faites.
EXTRAIT 2
C : Le processus créatif du groupe n’échappe pas, lui aussi, à quelques poncifs.
M : Pour illustrer l’ascension rapide du groupe, des extraits ultra courts de concerts se superposent, surplombés du nom de la ville concernée. Le rendu est très kitsch, avec des fondus et agrandissements d’image que je pensais interdits en 2018. On dirait un Powerpoint. On préfère, de très loin, les scènes de live qui prennent plus leur temps, où on mesure alors à quel point Rami Malek réussit à devenir Freddie Mercury. Par ailleurs, les acteurs qui incarnent les autres membres du groupe, ont été coachés par des musiciens.
C : Le film revient aussi sur la naissance de plusieurs morceaux cultes de Queen .
M : Une bonne idée mais la mise en scène de ces moments se répète au point de frôler le ridicule. Seule la création du titre Bohemian Rhapsody, la plus grande pièce de l’oeuvre musicale de Queen, bénéficie d’un traitement de qualité qui rend compte de l’euphorie ambiante.
C : Freddie Mercury est présenté comme le vilain petit canard qui n’arrive pas à se faire une place.
M : C’est pourtant sa peur fondamentale : être l’éternel paria incompris et isolé. Le film s’en sert comme moteur principal de la personnalité de Freddie Mercury : impétueux, insolent, réclamant beaucoup d’attention, tout cela pour compenser sa peur d’être seul. Tout cela est exploré surtout dans la deuxième partie. Plus psychologique, elle est aussi moraliste. De leader charismatique et inspirant, Freddie Mercury devient une rockstar capricieuse et désolante, qui s’enfonce dans la drogue, l’alcool et la fête.
C : Une vraie “descente aux enfers”, au moment où les autres membres du groupe, au contraire, ont une vie plus stable auprès de leurs épouses et enfants.
M : Et ça crée des tensions. On a, quand même, un pincement au coeur, lorsque Freddie Mercury se sent profondément seul dans son immense maison en marbre, et tente d’attirer l’attention de Mary depuis sa fenêtre.
EXTRAIT 3
C : Le film s’ouvre sur leur concert au Live Aid, en 1985, et se ferme aussi dessus.
M : Une boucle temporelle qu’on anticipe dès les premières minutes du film. C’est dommage car : pas d’effet de surprise. Ce concert est montré comme celui de la réconciliation, après des années de froid entre Freddie Mercury et le reste du groupe. Une autre nouvelle les réunit : le fait que le chanteur a été contaminé par le VIH. Le virus est vu sous un angle médical, et honteux, comme s’il était le résultat inévitable de la descente aux enfers de la star, qui refuse même la compassion de ses camarades. Là aussi, c’est dommage. Le film n’aborde pas suffisamment ce point important de la vie de Freddie Mercury, qui mourra des conséquences du SIDA en 1991, et n’en parlera qu’à la veille de sa mort.
C : Bon, si je te comprends bien, on ne va pas voir Bohemian Rhapsody ?
M : C’est un biopic en forme de blockbuster, ce qui pourrait se comprendre vu le rock taillé pour les stades qu’a imaginé Queen. Le film est englué dans des poncifs et lourdeurs qui desservent l’émotion attendue, mais la prestation de Rami Malek en vaut quand même le coup.
C : Bohemian Rhapsody est en salles depuis le 31 octobre, merci Morgane Giuliani et à très vite !
« Bohemian Rhapsody » : le biopic maudit et maladroit sur Freddie Mercury
L’icône que représente Freddie Mercury et son groupe Queen font un formidable sujet pour un biopic. Et un tel film est d’ailleurs arrivé dans les salles sous le titre de « Bohemian Rhapsody ». L’incroyable Rami Malek campe avec talent le chanteur, mais à en croire Morgane Giuliani de « Marieclaire.fr », il représente également le seul atout du film.
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