Corentin : Chez les Croissants, nous nous targuons d’une éthique journalistique à toute épreuve. Nos journalistes recherchent, enquêtent, croisent leurs sources, pour vous proposer les meilleures chroniques possibles. Tous les sujets sont concernés, même la cuisine. Pas vrai Thomas ?
Thomas : Bonjour Corentin. Effectivement, pour la chronique d’aujourd’hui, j’ai donné de ma personne pour fact checker une recette dont on nous rabache les oreilles depuis presque 50 ans. Je veux bien entendu parler du cake d’amour de Peau d’ ne.
Corentin : Donc petite piqure de rappel, on parle bien de Peau d’ ne de Jacques Demy, sorti en 1970. Trip ultra perché, inspiré du conte de Charles Perrault avec Catherine Deneuve dans le rôle titre. Et pour ceux qui ne voient vraiment pas de quoi on parle, ça raconte l’histoire d’une princesse qui porte une peau d’âne en guise de vêtement pour cacher son statut et éviter l’inceste. Je l’ai revu il y a pas si longtemps et je suis toujours un inconditionnel.
Thomas : Wow, quelqu’un ici aime les comédies musicales à la française ! Ça fait plaisir ! Oui, c’est bien de ce film que je veux parler.
Corentin : Mais qu’est-ce que tu peux bien reprocher à ce chef d’oeuvre ?
Thomas : Ce que je lui reproche ? Mais la diffusion de fake news ! Voilà ce que je lui reproche ! Jacques Demy a beau être un très grand réalisateur et un bon scénariste, il est un bien piètre auteur culinaire.
Corentin : Attends, tu m’as perdu là… De quoi tu parles ?
Thomas : Je parle de ça !
[1]
Préparez votre, préparez votre pâte, dans une jatte, dans une jatte plate, et sans plus de discours, allumez votre, allumez votre four.
Corentin : Ah, mais c’est la recette pour un cake d’amour !
Thomas : Oui. Et pour les besoins du journalisme total, j’ai enfilé ma robe couleur de soleil et ai suivi strictement les indications pour réaliser ce fameux “cake d’amour”. Vous allez voir, ça va être sportif. Bon, déjà, elle nous demande d’allumer notre four. Mais à quelle température. Compte tenu que, dans le film, il s’agit d’un four à bois assez rudimentaire, avec une chauffe moyenne de 300°C sous voûte, et que le cake est placé à l’entrée du four, j’ai fait préchauffé mon four à 200°C. Et comme je ne possède pas de jatte plate, j’ai opté pour un saladier. J’imagine que “jatte plate”, c’est plus pour la rime que pour des raisons strictement culinaires de toute façon.
[2]
Prenez de la, prenez de la farine. Versez dans la, versez dans la terrine quatre mains bien pesées autour d’un puits creux, autour d’un puits creusé.
Thomas : Ca commence. J’imagine qu’il s’agit de farine de blé, même si le paysan moyen médiéval avait à sa disposition quantité d’autres farines moins nobles. Mais passons. Donc “4 mains bien pesées”, qu’est-ce que ça veut dire ? La pâtisserie est une science qui demande des mesures exactes. Là, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres. J’y suis donc allé en full yolo, j’ai pris une bonne poignée de farine, et j’ai pesé. Ca fait environ 80 grammes. Donc on a 320 grammes de farine. Dans cette farine, comme la chanson l’exige, je creuse un puits.
[3]
Choisissez quatre, choisissez quatre oeufs frais, qu’ils soient du ma, qu’ils soient du matin faits car à plus de 20 jours, un poussin sort tou, un poussin sort toujours.
<fade out en bed>
Corentin : [Alors ça pour le coup, c’est vrai je suis allé vérifier.]
<fade in>
Un bol entier, un bol entier de lait, bien crémeux s’il, bien crémeux s’il vous plaît, de sucre parsemez, et vous amalga, et vous amalgamez.
Thomas : Dans le puits, je casse 4 oeufs frais. J’ajouter un bol de lait entier, soit environ 40 cL. A ce stade, le puits n’est plus qu’une notion oubliée, tellement il y a de liquide dans le saladier. Je parsème ensuite de sucre. Comme on n’a aucune indication, j’en mets une main, soit 80 grammes. Je sais que la farine, le sucre et tous les autres ingrédients n’ont pas la même masse volumique, mais bon, hein, je fais ce que je peux avec les paroles d’une chanson. Donc si je dis que ça fait 80 grammes, ça fait 80 grammes. Et on mélange. Normalement, c’est le zbeul, ça fait des grumeaux.
[4]
Une main de, une main de beurre fin, un souffle de, un souffle de levain, une larme de miel, et un soupçon de, et un soupçon de sel.
Thomas : On rajoute encore d’autres trucs : 80 grammes de beurre doux fondu, un sachet de levure chimique - avec de la levure boulangère, ça aurait donné n’importe quoi - une cuillère à soupe de miel pour la forme, et une cuillère à café de sel.
[5]
Il est temps à, il est temps à présent, pendant que vous, pendant que vous brassez, de glisser un présent pour votre fian, pour votre fiancé.
Thomas : ALERTE ! Il s’agit de la pire idée de la recette ! D’ailleurs, dans le film, on le voit bien. Je vous refais la scène : Peau d’ ne met une bague dans la pâte (beaucoup trop solide à mon goût) du cake pour que le prince à qui il va être donné la reconnaisse. Sauf que :
1- Le prince a demandé à ce que toutes les jeunes femmes nommées Peau d’ ne lui prépare un gâteau. Si il doit les manger en intégralité à chaque fois, je vous raconte pas le diabète ;
2 - C’est pas un clafoutis ou une galette des rois, donc il ne s’attend pas à ce que ce foutu cake contienne un présent, et risque, au mieux, de se casser les dents, au pire, de s’étouffer…
Corentin : Et ça ne manque pas, il me semble !
Thomas : Exactement ! Quand je vous disais que cette chanson était pétée… Mais finissons-en.
[6]
Un souhait d’a, un souhait d’amour s’impose tandis que la, que la pâte repose, lissez le plat de beurre et laissez cuire, et laissez cuire une heure.
Thomas : Peut-être le seul bon point de la chanson : on nous recommande de beurrer le plat, et de laisser reposer la pâte (ce que l’on doit faire avec tout bon cake). De même, la cuisson d’une heure ne me semble pas incongrue.
Maintenant qu’on a vu le processus, je te propose que l’on goûte en direct.
Corentin : COMMENTAIRE SINCERE
Thomas : Perso, j’ai pas trouvé ça génial. Pour sauver la chronique, je te propose une recette rapide de cake aux amandes et à la fleur d’oranger. Faites un mélange sec dans un saladier, avec 150 grammes de farine, 120 grammes de poudre d’amandes et un sachet de levure chimique.
Corentin : Donc 150 grammes de farine, 120 grammes d’amandes en poudre et de la levure, OK.
Thomas : Dans un autre saladier, mélangez 120 grammes de beurre doux mou avec 120 grammes de sucre. Il faut que le mélange blanchisse.
Corentin : C’est vachement plus pratique, en fait, les grammes, par rapport aux mains… Donc on fait blanchir 120 grammes de beurre avec 120 grammes de sucre.
Thomas : Voilà. Vous allez verser au fur et à mesure le mélange sec sur le mélange beurre sucre, pour ne pas faire de grumeaux. Quand tout est incorporé, ajoutez un à un 3 oeufs. Vous obtenez une pâte lisse, à laquelle vous ajoutez 2 ou 3 cuillères à soupe d’eau de fleur d’oranger. Vous remélangez.
Corentin : Attends attends… Donc on ajoute la farine au beurre, on mélange, on met 3 oeufs, on mélange, et la fleur d’oranger, et on mélange.
Thomas : Dernière étape avant cuisson : vous mettez la pâte dans un moule à cake beurré, et vous laissez reposer au moins 15 minutes. Ensuite, vous enfournez pendant 45 minutes dans un four à 180°C. Vous obtiendrez un cake moelleux et parfumé, rien à voir avec ce soi-disant cake d’amour.
Corentin : C’est bien noté. Merci pour le cake, et merci d’avoir rétabli la vérité culinaire, Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
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