Corentin – Aujourd’hui j’ai un petit souci avec Netflix. Donc logiquement, j’ai appelé Geoffroy Husson de Frandroid à la rescousse. Ça va Geoffroy ?
Geoffroy – Ça va bien Corentin, mieux que toi, on dirait. Qu’est-ce qui t’arrive, tu veux m’en parler ?
C – Bah tu vois, j’étais bien installé devant mon compte Netflix, je cherchais des films récents à voir, et impossible de tomber sur le dernier film Star Trek, Beyond. Pourtant il est dispo sur Netflix, je l’ai vu sur un site !
G – Ah bon ? Sur quel site tu as vu ça ?
C – Euh, sur Rotten Tomatoes, je crois…
G – D’accord, donc je commence à comprendre. Rotten Tomatoes est un site américain. Donc du coup ils parlent du catalogue américain de Netflix, qui est bien différent de la version française.
C – Et pourquoi ça ?
G – Parce qu’à chaque fois, Netflix, comme n’importe quel service de vidéo à la demande, négocie pays par pays les droits de diffusion des films avec leurs distributeurs. C’est finalement assez rare qu’un film sorte sur Netflix partout dans le monde, exception faite des productions Netflix, justement.
C – Mais même plus largement en France j’ai l’impression qu’il n’y a que des vieux films sur Netflix.
G – Oui, les films les plus récents sont sortis en salle il y a précisément 36 mois, soit trois ans.
C – Mais oui, exactement ! Comment tu sais ça ?
G – Parce que c’est l’une des règles de base de la chronologie des médias. Un bon vieux système franco-français qui a été mis en place dans les années 80, à l’époque concernant les cassettes vidéo. L’idée c’est de favoriser tous les acteurs de la production et de la diffusion de films. C’est ce qu’expliquait le journaliste Cyril Lacarrière sur Europe 1 en 2017.
[Insert Europe 1]
Admettons qu’un film sorte en salles de cinéma le 1er janvier 2018, par exemple. On va l’appeler The Croissants. Eh bien il faudra déjà attendre quatre mois, soit le 1er mai, pour qu’il soit disponible en DVD et Blu-Ray. Puis le 1er novembre avant de pouvoir le voir sur Canal+ ou OCS et le 1er janvier 2019 pour qu’il soit disponible sur une autre chaîne payante qui n’a pas d’accord avec les studios de cinéma.
C – Et j’imagine que la télé gratuite arrive après
G – Exactement. C’est seulement au bout de 22 mois, le 1er novembre 2019, que tu pourras voir le film sur France 2 par exemple, à condition qu’ils aient financé le film. Et enfin, au bout de 30 mois, soit le 1er juillet 2020 qu’il pourra être programmé sur n’importe quelle chaîne de télévision.
C – Et au bout de 36 mois qu’on y a accès sur un service de VOD par abonnement comme Netflix ou Amazon Prime. C’est bon, j’ai compris. Mais il se passe quoi si le studio est d’accord pour mettre le film sur Netflix avant ?
G – Eh bien rien du tout. Ce sont des règles légales, donc personne ne peut s’y soustraire. Même s’il y a un contrat qui autorise Netflix à proposer le film avant, eh bien ce contrat ne sera pas valable, puisqu’il ne peut pas se substituer à la loi.
C – Mais c’est n’importe quoi !
G – Eh bien pas forcément. Parce que comme je l’expliquais tout à l’heure, l’idée justement c’est de protéger toute la chaîne. Si les films ne sont pas disponibles en DVD en même temps que leur sortie en salles, c’est justement pour protéger les exploitants de salles. Personne n’irait au cinéma s’il était possible de voir le film directement chez soi. De même, personne ne regarderait le film en direct à la télévision s’il était disponible en même temps sur Netflix.
C – Mais c’est pas grave, à la fin c’est au spectateur de décider comment il regarde son film !
G – En théorie oui, mais tu remarqueras que plus ça va, plus ou avance dans le temps de cette fameuse chronologie, moins la diffusion d’un film coûte de l’argent au spectateur. Bien évidemment, c’est avec les tickets de cinéma que les studios vont toucher le plus d’argent et rentabiliser le plus rapidement leur film, puis avec la vente des DVD et Blu-Ray. Ensuite ce sont les chaînes de télévision, dont particulièrement Canal +, qui financent en grande partie le cinéma français. Et à la fin, toute à la fin, c’est la VOD par abonnement qui ne coûte pas grand-chose et dont une petite part est finalement reversée aux studios.
C – D’accord, donc je comprends mieux l’intérêt de protéger tout le monde. Parce que c’est ce système qui permet de financer le cinéma. Sans ça, il n’y aurait plus de films produits en France.
G – Ou il risquerait d’y en avoir moins, c’est ça. En tous cas, c’est ce que craignent les différents acteurs de la chaîne de diffusion, en particulier les exploitants de salles. C’est une des raisons qui explique d’ailleurs pourquoi le monde du cinéma, en France, en veut tant à Netflix.
C – Comment ça ?
G – Eh bien en 2017, pendant le Festival de Cannes, la plateforme de VOD avait présenté en sélection officielle deux films qu’elle avait produits : Okja et The Meyerowitz Stories. Deux films qui ont été particulièrement sifflés pendant leur projection au palais des festivals, comme l’expliquait à l’époque France 24.
[Insert France 24]
Le problème c’est que, comme pour la plupart de ses films, Netflix n’est pas passé par le circuit standard. Les films sont sortis directement sur Netflix.
C – Mais ils ont le droit de faire ça ?
G – Eh oui, parce que la chronologie des médias ne fonctionne que pour les films qui sortent au cinéma. Si ton film, prenons The Croissants par exemple, est d’abord diffusé à la télévision, en DVD ou sur Netflix, et bien le reste de la chronologie des médias ne s’y applique pas. Du coup, pas besoin de la respecter.
C – Je comprends ! C’est comme pour les séries TV !
G – Exactement oui. Les séries TV ne sortent pas au cinéma, puisqu’elles sont d’abord proposées à la télévision. Du coup, pas besoin de chronologie des médias ni d’attendre 36 mois avant de les retrouver sur Netflix en France.
C’est d’ailleurs une des raisons qui pousse de plus en plus Netflix à produire ses propres films. Parce qu’outre le fait d’avoir l’exclusivité dessus et d’amener davantage d’abonnés, ça permet surtout à l’entreprise d’être beaucoup plus indépendante pour son calendrier et de ne pas avoir à se plier aux réglementations en place dans tous les pays. Du moins pour l’instant, parce que le gouvernement a déjà annoncé fin 2017 qu’un médiateur avait été nommé pour réformer toute cette chronologie et réduire la durée notamment pour la VOD. D’ici là, on attend toujours.
C – Okay, merci Geoffroy pour toutes ces explications sur Netflix et la chronologie des médias et à très bientôt !
Cinéma : la chronologie des médias dans la toile de Netflix
La chronologie des médias est un principe bien français qui dicte l’ordre et la période après laquelle un film peut être diffusé en Blu-Ray, à la télévision ou encore sur internet. Mais la popularité grandissante des plateformes de VOD comme Netflix remet ce principe en cause et crée des tensions avec le monde du cinéma. Voyons de quoi il en retourne avec Geoffroy Husson.
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