Benjamin : Oooaooh j’ai plus d’yeux.
Corentin : T’as plus d’yeux ? C’est embêtant. Aujourd’hui j’accueille Benjamin Benoit, qui n’a plus d’yeux.
B : Je vous explique. Par un astucieux truchement scénaristique, je suis en train de revivre l’état dans lequel j’ai écrit cette chronique. Nous sommes l’antépénulitème jour - c’est l’avant avant dernier - de l’Etrange Festival, à Paris. Fidèle à moi-même, je regarde une grosse vingtaine de films en une grosse semaine, et j’ai les yeux explosés. Et là, vla-ty-pas qu’il y a une soirée spéciale... films de genre euroshlocks, comme diraient les anglophones. J’enchaîne le dernier Lars Von Trier et le dernier Gaspar Noé. Donc j’ai plus d’yeux et plus d’oreilles et un peu le tournis, donc c’est une chronique un peu cascadesque. La bonne nouvelle, c’est que cette chronique est sur un métrage du Noé, donc un film deux fois moins long.
C : Ok, t’as quelques secondes de bande-annonce pour te remettre.
B : (se caler avant le début du clavier - deux mesures) Un... et... deux... et...
[BOUM BOUM C’EST LA BANDE ANNONCE]
Bon, quelques mots indispensables sur Gaspar Noé. Bla bla Irréversible, bla bla bla ouloulou des gens sortent de ses projections à Cannes en faisant des malaises vagaux, pif paf puf l’enfant terrible du cinéma. Gaspar Noé n’a pas peur de faire du cinéma radical, très porté sur le dispositif technique et l’expérience sensorielle. Du coup ça donne des films extrêmes sur lesquels, ça alors ! On a des retours et des opinions extrêmes.
C : On parle tout le temps d’Irreversible. Tu peux développer ?
B : Donc c’est un des gros scandales de Cannes à son époque, en 2002, c’est l’histoire d’un viol et d’une vengeance racontée à rebours. C’est très violent, la caméra bouge vraiment beaucoup, y’a de la drone music de Thomas Bangalter en fond sonore, c’est super craspec. Je recommande davantage Enter The Void, dont je suis pas dingue mais qui résume les ambitions du réalisateur. Voilà, je voulais vous prévenir tout de même que c’est ce genre de film que vous fait sortir de votre zone de confort, ce que je vous invite toujours à faire, mais je comprendrais que tout le monde n’aime pas les démarches agressives.
C : Écoute, les termes du sujet sont posés, je pense que tu peux commencer à parler du film sans regrets.
B : Oui de toute façon le pitch est assez clair. Nous sommes dans un chalet isolé en pleine tempête de neige, où un gros groupe de danseurs fait la fête avant une grosse tournée américaine. Il répètent, et font la fête, pas au Champomy. Quelqu’un a mis du LSD dans la sangria, la caméra tourne et ça tourne mal. Ca vire cacao, ou chocolat, si tu veux. Ca monte dans les tours. C’est pas la même limonade. Bref : ça se ne passe pas bien. Et c’était la consigne du scénario, ce gros groupe d’acteurs non-profesionnels avait comme consigne principale de partir en roue libre, en évoluant dans un tout petit terrain de jeu. Un dance-floor, un couloir, et un dortoir, rien de plus.
[BOOM BOOM UN AUTRE MORCEAU DE BANDE-ANNONCE]
B : C’est Gaspar Noé, on se fiche des conventions, le générique est tout au début et le casting est annoncé à mi-chemin. Ca commence comme un documentaire, histoire de présenter les persos. Une longue chorégraphie de danse super impressionnante, quelques minutes de papote. On apprend à les connaître. Ils sont jeunes, très débridés, il ne s’aiment pas tant que ça mais ils veulent tous se sauter dessus. Ils boivent. Ils dansent beaucoup. C’est hypnotique. En fond sonore, Daft Punk, Georgio Moroder, ça claque bien. Et... ça dérape lentement. Ca dérape pour tout le monde, y compris pour un gosse qui se retrouvait là et qui va finir enfermé... dans un local électrique.
C : Ah oui la bonne idée !
B : N’est-ce pas ? À partir de là on entre dans une moitié de film en quasi plan-séquence. Y’a un bon gros tronçon de quarante minutes filmés d’une traite, c’est la spécialité de Noé. La caméra va partout, elle tournoie sur plusieurs axes, on a un rôle omniscient dans cette histoire. Et c’est ça qui est dingo dans le cinéma de Noé. Personne ne pourra lui retirer ça : il a des idées, il les exécute. Les acteurs sont en transe, la musique aide bien au délire, et tout ça se fait devant un très grand écran et le meilleur son possible.
C : Ce n’est pas pour les moins de 16 ans, rappelons-le.
B : C’est ça. Autant vous dire que j’ai vu Irreversible bien trop tôt dans ma vie et que je regrette. Auto-mutilation vraiment très réaliste, c’est vraiment troublant quoi, sexe au consentement un peu bof, sexe orgiaque, violence, et quelqu’un qui s’approche un peu trop d’un chalumeau ouuuuppssss il faut faire attention madame. Et tout ça derrière un esprit un peu fripon, un peu rigolard. Des messages subliminaux que je vais pas spoiler, des références littéralement écrites sous vos yeux en début de film, un étrange carton « film français et fier de l’être !!! » au début du métrage...
C : Et des gens qui dansent, donc.
B : D’habitude j’aime pas voir les gens chanter, ou danser. Je sais pas pourquoi, ça m’irrite. Mais là, même chez moi, ça marche. C’est un film... de danse. Qui tourne mal, mais où tout est une chorégraphie, sur plusieurs niveaux. Et je trouve ça bien. Ni scandaleux, ni profondément dégueulasse, juste bien. Parce que ultra déviant, différent, ambitieux. Moins prescriptif ou poseur. Pas explicite ou scandaleux comme ses films précédents, le curseur est sans doute-là. Est-ce que je vieillis ? C’est la trentaine qui approche ? Ou c’est ce tas de corps saillants qui bougent leur popottum ? Écoute, oui, Les Croissants recommandent Climax.
C : Et tu me laisses pas poser la question rituelle ?
B : C’est l’émotion. Je comprends le cinéma de Gaspar Noé pour la première fois. Je vais aller brûler un cierge.
C : Tiens, un verre pour te remettre de tes émotions.
B : Euuuhhhhh....
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