(EXTRAIT 1)
Corentin : Sympa ce petit son, ça groove ! C’est quoi ?
Angèle : C’est la disco symphonie en rut majeur, issue du film La Rabbateuse. Elle a été composée par Alain Goraguer, l’un des maîtres de la musique pour…. films pornographiques. Il a officié pendant des années aux côtés du réalisateur Burd Tranbaree, qui n’est autre que Claude Bernard-Aubert, réalisateur de films comme A feu de peau, Les porte de feu et l’Aigle et la Colombe. Tous deux signaient sous pseudonymes pour leurs films porno : Claude Bernard-Aubert sous Burd Tranbaree, donc, et Alain Goraguer en Paul Vernon.
C : Alain Goraguer, lui, a par exemple, aussi, orchestré ça (EXTRAIT 2)
A : Les Sucettes, célèbre tube chanté par France Gall et Serge Gainsbourg. Avec Gainsbourg, il signe d’ailleurs plusieurs musiques de film, comme l’Eau à la bouche, sorti en 1960.
C : Il a donc aussi composé des dizaines de chansons de films pornographiques
A : Et des fans de la première heure veulent vous les faire découvrir. Aurélien Bacot et Guillaume Le Disez, véritables passionnés de musique et de films. Ils ont lancé une campagne de financement participatif pour créer un vinyle de 8 morceaux inédits d’Alain Goraguer, composés pour les films pornographiques de Burd Tranbaree.
Ce sont des morceaux issus de films de l’âge d’or du X, dans les années 70 : Croisières pour couples en chaleur, La Petite étrangère, Le Droit de cuissage…Des morceaux qui, vous vous en doutez, avient un gros besoin de dépoussiérage et de restauration. C’était l’objectif de cette campagne.
C : Une campagne qui a d’ailleurs explosé
A : Alors qu’ils demandaient initialement 4500 euros, les organisateurs ont la surprise de voir que nous sommes désormais à plus de 20 000 euros de récoltés à l’heure où j’écris ces lignes.
C : On voit donc qu’il y a un sacré engouement…
A : Il faut aussi dire qu’Alain Goraguer a une carrière brillante : avant tout pianiste de jazz, il est surtout connu pour ses talents d’arrangeur musical. Il a aussi composé de nombreuses musiques de films plus grands publics, si je puis dire. Cela lui confère une véritable réputation. Peut-être que ça, ça vous dit quelque chose aussi (EXTRAIT 3)
C : Mais oui, Gym tonic !
A : C’est à Alain Goraguer que l’on doit ça.
C : Visiblement, donc, on lui doit aussi de superbes musiques de films X
A : En voici une autre tiens (EXTRAIT 4)
C : Cette campagne de restauration en vinyles des meilleures musiques de films X d’Alain Goraguer est donc très bien partie. Mais c’est aussi parce que ses organisateurs n’en sont pas à leur premier coup d’essai
A : En 2014, ils remarquent que personne n’avait jusqu’alors raconté les exploits cinématographiques de Brigitte Lahaie, figure culte du cinéma X français, surtout pendant son âge d’or. Résultat, deux ans après, les deux comparses créaient un livre avec des photos, des interviews, des anecdotes sur elle, et même un film inédit en DVD.
C : Leur but : montrer qu’un authentique cinéma pour adultes a bel et bien existé
A : Ce fut court, mais le X a bien eu son âge d’or. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing, alors président, met fin à la censure des films pornographiques. (EXTRAIT 5)
C’est le début du X au cinéma. En 1974, 128 films de ce genre totalisent plus de 6 millions d’entrées, rien qu’en région parisienne. Dans le très bon documentaire “L’âge d’or du X”, réalisé par Nicolas Castro et Laurent Préyale en 2006, le réalisateur Jean Rollin s’en amuse et dit : “Tout d’un coup, tout ce qu’on ne devait pas montrer jusque-là dans les films, c’est ce que l’on devait montrer maintenant”.
En ce sens, il entend : fini le sexe simulé. Place aux scènes hardcore et scénarios léchés.
C : Toutes ces années sont évidemment celles qui ont suivi mai 68 et ce qu’on appelle aujourd’hui la “libération sexuelle”.
A : Un moment où les femmes s’émancipent sexuellement : où l’égalité des sexes est de plus en plus reconnue et où le sexe n’est pas que pour procréer.
Dans le milieu des années 70, Gérard Kikoïne est un réalisateur phare de films pornos français. Le site Vice l’a rencontré en 2016. Ses films X s’appelaient des “films d’amour”. Pour Vice, ils représentent, je cite “des sortes de capsules temporelles dans lesquelles on découvre une France analogique libérée par mai 68, émancipée par la pilule contraceptive et pas encore plombée par le virus du Sida”. L’unique but : se marrer. (EXTRAIT 6)
C : Sauf que rapidement, Giscard d’Estaing revient un peu sur ses principes…
A : Et taxe dès 1975 lourdement les oeuvres à caractère pornographique. Il devient de plus en plus difficile de fabriquer du porno. Pire encore, la plupart des salles de cinéma suivent la tendance et décident de ne plus diffuser de films X. Nous sommes donc face à un paradoxe : le succès du cinéma X est indéniable, voire écrasant mais reste perçu comme moralement déviant. (EXTRAIT 7)
C : Plus tard, avec le web, le porno change forcément
A : Le développement d’Internet a changé la donne. Exit les productions qui empruntent au codes du cinéma et de nombreux studios sont contraints de fermer leurs portes dès le début des années 90.
Conséquence, c’est carrément la manière de filmer qui change.
C : Brigitte Lahaie déplore d’ailleurs ce changement dès 1987 dans son livre, Moi la scandaleuse.
A : Elle dit : “Le cinéma érotique n’est plus ce qu’il était : on tourne de plus en plus vite des films en vidéo, sans comédiens, avec des ‘amateurs’ du sexe, qui ne mettent que leur sexe au service d’histoires qui n’en sont pas”
Nous sommes passés à du simili home-made, voire à du filmage à l’Iphone, à l’arrache. Alors qu’un porno-chic pouvait à l’époque durer 1h30/2h, baladez-vous sur Jacquie et Michel et vous verrez que les vidéos dépassent rarement les cinq minutes. Finalement donc, la musique n’y a plus vraiment sa place. Fini le cinéma porno, chic et bourgeois. Mais pour autant, si le sujet vous intéresse, vous pouvez trouver un excellent documentaire qui s’intitule “L’âge d’or du X”. C’est une véritable pépite et il est disponible en vidéo sur Internet. Plus globalement, si vous êtes intéressés par l’industrie du porno, Netflix a réalisé de très bons documentaires pour Hot Girls Wanted.
C : De quoi s’intéresser à ce monde qui ne se devoile pas tant que ça, en dépit des apparences. Merci Angèle Chatelier, on se retrouve une prochaine fois !
L’âge d’or du X raconté en musique
Il n’est pas certain que les consommateurs de films pornographiques viennent en premier lieu pour la bande originale. Pourtant, durant l’âge d’or de l’industrie du cinéma pour adulte en France, dans les années 1970, ce sont des pointures qui se sont attelées à mettre les ébats en musique. Angèle Chatelier nous en parle.
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