Malgré son casting en or, « Photo de famille » se vautre dans le cliché

“Photo de famille” : une comédie dramatique qui peine à émouvoir, malgré son casting impeccable
M : Corentin, si je te dis Vanessa Paradis, Jean-Pierre Bacri, Camille Cottin, Pierre Deladonchamps, tu penses à quoi ?
C : La fine fleur de notre 7e art hexagonal ?
M : Vanessa Paradis, on ne la présente plus. Jean-Pierre Bacri, c’est l’éternel vieux râleur qu’on adore embêter depuis plus 20 ans déjà. Camille Cottin est l’une des plus récentes nouvelles venues. On l’a connue avec son rôle méchamment drôle de meuf insupportable dans la pastille “Conasse”, diffusée sur Canal Plus il y a quelques années. D’ici quelques mois démarrera la saison 3 de “Dix Pour Cent”, drôlissime série de France 2 où elle interprète un agent de star au caractère en acier trempé. Et Pierre Deladonchamps, je t’en parlais il y a quelques mois dans l’émouvant film de Christophe Honoré Aimer, Plaire et Courir Vite, où il joue un écrivain torturé et égocentrique malade du Sida, vivant une dernière histoire d’amour avec un jeune étudiant.
C : D’ailleurs, la chronique du film est disponible dans le Brunch. Bon, tout ça c’est très bien Morgane, mais pourquoi tu me parles de tous ces gens ?
M : Parce qu’ils sont tous à l’affiche de Photo de famille, en salles depuis le 5 septembre. C’est le deuxième film de Cécila Rouaud, après Je me suis fait tout petit, sorti en 2012. Elle signe le scénario de cette comédie dramatique familiale, où un clan éclaté depuis le divorce des parents - Jean-Pierre Bacri et l’icône Chantal Lauby - est obligé de se serrer les coudes face à l’état de santé préoccupant de la grand-mère. Vanessa Paradis, Camille Cottin et Pierre Deladonchamps sont les enfants de cette fratrie bancale. Les deux soeurs décident d’héberger leur grand-mère à tour de rôle, alors que leur père refait sa vie et refuse de s’en occuper. Cette grand-mère répète vouloir mourir à Saint-Julien, où ils se retrouvaient tous les étés.
EXTRAIT 1
C : Le casting 5 étoiles de Photo de famille est notamment ce qui lui a attiré beaucoup d’attention.
M : Lors de sa sortie en salle, il a réalisé la meilleure sortie du jour à Paris, avec plus de 38.000 entrées, ce qui est vraiment beaucoup pour une comédie française.

C : Alors, est-ce que Photo de famille est à la hauteur de son casting ?
M : Eh bien mon cher Corentin, je suis au regret de t’informer que : non. Le film a quelques bons moments, mais il pêche sérieusement par sa propension à rester en surface des événements et des personnages. On nous dit beaucoup de choses, mais on les démontre peu. Je vais te donner un exemple. On apprend assez vite que les parents se sont séparés quand les enfants étaient jeunes. Les 2 filles sont parties avec leur père, le garçon avec la mère. Apparemment, ils se voyaient très peu - ce qui, déjà, paraît surréaliste - et ils attendaient avec impatience de se retrouver à Saint-Julien tous les étés, chez leur grand-mère. Une fois adultes, ils n’ont pas l’air d’être très proches. Et on ne comprend pas pourquoi. En partant de cette base bancale, le film ne pouvait qu’aller droit dans le mur.
C : Le problème de Photo de famille : l’enchevêtrement de caricatures qui ne sont même pas drôles.
M : Gabrielle, jouée par Vanessa Paradis, est l’artiste de la fratrie. Son métier ? Être une statue dorée immobile pour touristes, près du Louvre. Dans quel monde parallèle une femme avec la classe de Vanessa Paradis serait heureuse de ce job, et n’aurait pas d’autre opportunité ? Là, il y a problème de casting. Parce que Gabrielle ressemble beaucoup trop à son interprète. Elle est douce, solaire, elle chante quand elle est saoule. On sent que la réalisatrice lui a demandé de faire semblant de chanter faux, et c’est gênant. Quand elle n’est pas peinturlurée, Gabrielle est habillée en bobo parisienne de base, et vit dans un appart Pinterest qu’elle arrive à se payer on ne sait comment. Mais parce que Vanessa Paradis est quand même très douée, elle parvient à nous émouvoir quand son fils, qui a honte de son travail, quitte son appart pour vivre avec son père.
EXTRAIT 2
C : Est-ce que les personnages d’Elsa et .... Mao rattrapent un peu le coup ?
M : Le personnage de Pierre Deladonchamps s’appelle Mao, parce que leurs parents aimaient vraiment beaucoup le communisme, tu comprends. Tu vois ce que je veux dire par “caricature poussive même pas drôle ?” Et pour répondre à ta question : ils ne rattrapent pas vraiment le coup. Elsa aussi vit dans un super appart parisien avec son conjoint, mais elle a l’air d’être éducatrice en banlieue. Par contre, son irritation envers sa mère envahissante, psychologue, est très plausible et drôle. Camille Cottin interprète avec justesse cette énorme frustration à essayer de confronter ses parents à leurs contradictions et erreurs. Mao est quant à lui agaçant. Game designer de génie, il passe son temps à bosser, à boire, ou en psychanalyse. Il est censé être dépressif, mais ce qui lui pose problème n’est pas dit, ou suggéré, explicitement. Du coup, on n’arrive pas à être empathique envers lui.
C : Au-delà des problèmes inhérents à chaque personnage, leurs relations sont incompréhensibles.
M : Gabrielle est douce et patiente, mais se fait tout le temps remballer par Elsa et Mao, qui ont de sales caractères. Bacri ne s’occupe pas de sa propre mère, ce qui rend Elsa dingue, mais il ne lui arrive rien d’autre. Il suffit qu’il aille la voir une fois à l’hôpital pour pleurer et lui supplier de le reconnaître. Cette scène devrait être le climax du film, mais on ne ressent pas la moindre émotion. Pas parce que la situation est attendue, mais parce que les événements qui y amènent ne sont pas plausibles. Le film passe tout le temps d’un extrême à l’autre. Un coup, les personnages n’arrivent pas à communiquer depuis des années, un coup ils tombent dans les bras les uns des autres en pleurant. Sans parler d’une inutile histoire d’amour entre Gabrielle et le boss de Mao, qui sort du chapeau puisqu’ils tombent amoureux sans se connaître !
C : Bon, si je te suis, on ne va pas voir Photo de famille.
M : Le film aurait dû exploiter un filon facile mais toujours efficace : la nostalgie familiale, la mort qui confronte au temps qui passe. Mais il passe à côté. C’est comme terminer un puzzle péniblement, pour se rendre compte que le rendu est kitsch, un ensemble de petits points colorés flous quand on le regarde de près.
C : Pour celles et ceux qui sont fan de Vanessa Paradis ou voudraient se faire leur propre avis, Photo de Famille est en salles un peu partout depuis le 5 septembre. Merci Morgane et à très vite !