C : Aujourd’hui Morgane Giuliani nous revient dans un registre pour le moins inhabituel.
M : Eh oui, aujourd’hui je vais vous parler de Marie Madeleine, long-métrage de Garth Davis, le réalisateur de LION, nommé aux Oscars en 2017. C’est un film biblique, qui suit Marie Madeleine, la première femme disciple de Jésus, et surtout, la première personne à le voir après sa Résurrection. À ce titre, elle est considérée comme “l’apôtre des apôtres”. Certains théologiens estiment même qu’elle était l’épouse du Christ “par l’esprit”.
C : Le parti-pris de ce film, c’est de présenter Marie Madeleine sous un autre jour.
M : À partir du 6e siècle après Jésus-Christ, l’Église assimile la figure de Marie Madeleine à celle d’une pécheresse, à cause d’une erreur d’interprétation des Évangiles, où il était écrit qu’elle était possédée par “7 démons”. C’était plutôt une manière de dire qu’elle avait des névroses. Le temps est passé et l’image de pécheresse est parfois devenue celle d’une prostituée. Il a fallu attendre 1962 et le concile Vatican II pour que l’Église revienne sur sa position et avoue s’être trompée. En 2016, le Pape François a transformé la Sainte-Madeleine, qui a lieu le 22 juillet, en fête liturgique officielle, devant être célébrée par toute l’Église. C’est là qu’on en arrive au film de Garth Davis, qui veut réhabiliter cette figure biblique importante, méprisée et moquée pendant des siècles et des siècles.
C : Le film suit Marie Madeleine lors de sa rencontre avec Jésus, et jusqu’à la résurrection de ce dernier.
M : Avant cela, l’histoire démarre au moment où le père de Marie Madeleine essaie de la marier. La jeune femme se révolte, explique que “cette vie n’est pas faite pour elle”. “Mais pour quelle vie es-tu donc faite ?”, lui rétorque un de ses frères. Paniquée, Marie Madeleine se rend à l’improviste à la medina pour prier, ce qui jette l’opprobre sur sa famille, car elle n’est censée prier qu’en compagnie d’autres femmes. S’en suit une scène incroyable et terrible d’exorcisme, en quelque sorte, où les hommes de sa famille essaient de la purifier en la maintenant sous l’eau.
[EXTRAIT 1]
C : Dépassée par les événements, la famille de Marie Madeleine fait appel à un guérisseur.
M : Il s’agit en fait de Jésus. Jésus estime que Marie Madeleine n’est en aucun cas possédée, et même, qu’elle porte la foi en elle. Entre les deux, c’est un coup de foudre spirituel. La jeune femme assiste à plusieurs miracles accomplis par Jésus, dans une scène oppressante, où une foule de plus en plus compacte et hystérique se presse autour de lui. Marie Madeleine décide alors de se convertir au christianisme, et de l’accompagner avec les autres apôtres, jusqu’à Jérusalem, où Jésus est censé mettre en place ce qu’il nomme le “royaume de Dieu”.
[EXTRAIT 2]
C : En quelque sorte, ce film montre Marie Madeleine comme une femme émancipée.
M : En refusant de se marier, en se convertissant au christianisme et en se joignant à Jésus, Marie Madeleine se rend maîtresse de son destin. Pour l’époque, c’est révolutionnaire.
C : Mais Marie Madeleine doit sans cesse se battre pour être entendue et respectée.
M : Son arrivée jette le trouble parmi les apôtres. Pierre, interprété par Chiwetel Ejiofor, pense que cela leur sera préjudiciable en terme d’image. Jésus et Judas, au contraire, l’estiment aussi légitime qu’un homme à porter la parole de Dieu. Gage de confiance suprême : Jésus lui donne l’autorisation de baptiser les femmes qu’ils rencontrent. De son côté, Marie Madeleine fait comprendre à Jésus qu’il devrait aussi s’adresser aux femmes, car celles-ci n’oseront jamais aborder son groupe d’apôtres masculins. Malgré cela, elle a toutes les peines du monde à convaincre Pierre qu’elle a vu Jésus ressuscité après son exécution sur la croix.
[EXTRAIT 3]
M : Pour toutes ces raisons, l’Église présente Marie Madeleine comme une femme indépendante et forte, ce qui est vrai. De là à dire que le film en fait une figure féministe, non. Il y a notamment une scène dérangeante où Jésus explique à des femmes qu’elles doivent pardonner aux hommes violeurs et agresseurs si elles veulent entrer dans le royaume de Dieu. Marie Madeleine ne le contredit pas. Mais bon, il faut garder en tête que ces propos sont parfaitement logiques par rapport à l’époque où ils sont tenus et par rapport aux Évangiles.
C : Et il faut d’ailleurs noter que le réalisateur Garth Davis s’est entouré d’un casting incroyable.
M : Marie Madeleine est jouée par la Suédoise Rooney Mara, qui s’est notamment fait connaître en jouant Lise Salander, dans l’adaptation américaine de The Girl With The Dragon Tattoo. Elle est époustouflante de justesse et d’intensité, sans jamais tomber dans l’excès. Jésus est interprété par l’Américain excentrique Joaquin Phoenix, crédible en Jésus troublé par son destin, à bout de force, et qui trouve une forme d’apaisement auprès de Marie Madeleine. Deux acteurs français sont au casting : Tahar Rahim, révélé dans Un Prophète, incarne Judas, dont il fait un homme sensible et touchant. Denis Ménochet joue quant à lui l’un des frères de Marie Madeleine. Il faut aussi le voir dans le rôle d’un père abusif dans Jusqu’à la garde, encore en salles.
C : Ce film est aussi subjuguant de beauté.
M : Il a été tourné dans de magnifiques décors naturels du Sud de l’Italie : des petites plages abandonnées, des falaises boisées, des vallées arides à perte de vue. Les couleurs des tenues des personnages sont pensées avec celles de ces paysages tantôt verts, bleus ou blancs. Beaucoup de scènes sont tournées au petit matin, avec une lumière très pâle et diffuse. Cela donne une aura de dénuement, on a l’impression d’être au bout du monde. Enfin, la musique est merveilleuse. Elle a été composée par Hildur Guðnadóttir, violoniste islandaise qui a tourné avec Animal Collective et Sunn O)))), et par Jóhann Jóhannsson, compositeur et musicien islandais, mort en février 2018. Il avait notamment composé la musique du sublime film de science-fiction Premier Contact, de Denis Villeneuve.
C : Peut-on aller voir Marie Madeleine même si on n’est pas croyant ou sensible à ce genre de cinéma ?
M : La Bible fascine Hollywood depuis longtemps, mais les films qui en sont tirés ruent souvent dans les brancards, comme La Passion du Christ de Mel Gibson. Le film de Garth Davis est fin, il explore avec une beauté troublante les ressorts souvent inexplicables et parfois irrationnels de la foi. On n’essaie pas de nous prêcher quelque chose, juste de nous raconter une histoire bien connue, la mort de Jésus, sous un point de vue différent. Que l’on soit croyant ou non, on ne peut rester insensible à la force de Marie Madeleine.
C : Marie Madeleine est en salles à partir du 28 mars, merci Morgane Giuliani et à très vite !
« Marie Madeleine » : un film sublime sur la dévotion et l’affirmation de soi
Morgane Giuliani est allée voir « Marie Madeleine », le nouveau long métrage narrant l’épopée de celle que l’on nomme l’apôtre des apôtres. Elle nous confiera ce qu’elle en a pensé. [Erratum : Rooney Mara est américaine et non suédoise, contrairement a ce qui est dit dans cette chronique]
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