C : Documentaire en immersion dans les coulisses de la fabrication du jeu For Honor chez Ubisoft, Playing Hard vient de rejoindre le catalogue de Netflix en France. Patrick Hellio nous dit ce qu’il pense de cette plongée saisissante dans la fabrique d’un jeu vidéo à grand budget. Alors Patrick, c’est quoi au juste Playing Hard ?
Patrick : Salut Corentin, Playing Hard est un documentaire qui nous plonge pendant une heure et demie en immersion dans les coulisses de la création du jeu For Honor. On rappelle qu’il s’agit d’un jeu de combat médiéval orienté multijoueur qui oppose différentes factions. On a par exemple des vikings ou des samouraïs qui s’affrontent dans des combats à l’arme blanche assez techniques. Un gameplay riche qui lui vaut d’ailleurs une belle carrière esport, encore aujourd’hui !
C : For Honor a été conçu à Ubisoft Montréal, le plus grand studio de développement au monde puisqu’il comprend plus de 3 500 personnes.
P : Eh oui, ça en fait du monde, hein ? Une telle équipe n’a pas fait peur au réalisateur Jean-Simon Chartier, qui a déjà de nombreux documentaires à son actif. Il nous fait découvrir la genèse d’un blockbuster de la taille de For Honor. Et pas n’importe quel blockbuster puisqu’il s’agit de la naissance d’une nouvelle franchise. Or, je ne vais pas te l’apprendre Corentin, c’est toujours plus compliqué à produire qu’une simple suite de série installée.
C : Eh c’est souvent un risque financier, car le public est souvent plus enclin à retourner vers les licences qu’il connait déjà. Mais qui dit nouvelle franchise, dit également défis de productions.
P : Il y a des hésitations, des changements de cap, des décisions difficiles à prendre et Chartier filme tous ces moments-là sur plusieurs années.
On assiste aux temps forts de l’évolution du projet, des réunions en interne, mais également la présence de l’équipe au cérémonial des fameuses conférences E3, jusqu’à la petite fête pour célébrer le passage du jeu en Gold.
C : Pour ceux qui ne savent pas, on dit qu’un jeu passe en gold quand les consoliers donnent leur feu vert pour le pressage des disques.
P : C’est une étape importante, même si aujourd’hui ce n’est pas tout à fait la fin du calvaire, car les développeurs travaillent ensuite sur le patch day one voire plus pour ce qu’on appelle les “jeux service”, soutenus sur la durée. Mais on digresse !
Entre l’hiver 2013 et la sortie du jeu en février 2017 et même un peu au-delà, c’est à la naissance d’un jeu que l’on assiste. Un titre ambitieux et original qui connaît une production compliquée. Un véritable champ de bataille qui fait évidemment écho aux scènes du jeu.
[bande annonce playing hard https://www.youtube.com/watch?v=20hUmq66StA]
C: Si ça arrive régulièrement pour le cinéma, l’exercice est tout de même beaucoup moins courant pour le jeu vidéo ! Des passages en particulier t’ont marqué ?
P: Il y en a plein. C’est anecdotique mais j’ai bien aimé ce passage portant sur les propositions de titres pour remplacer le nom de code “Hero” utilisé en interne lors du prototypage. Eternal Honor, Storm of Steel et j’en passe. Ou encore ces compétitions organisées en interne dans les premiers temps du développement au cours desquelles on perçoit que l’équipe tient clairement quelque chose.
C : J’imagine que c’est là qu’ils se rendent compte du potentiel du jeu !
P : Mais il y a pas que ces moments légers. Le développement de For Honor représente un cheminement tendu, sous pression et qui coûte aux équipes. Comme c’est rappelé dans le documentaire, un développement de jeu c’est comme un accouchement et ça peut se faire dans la douleur. La force de ce documentaire, c’est de permettre au spectateur de voir l’évolution en une heure et demie entre les premiers jets du titre et son arrivée dans les magasins. Le documentaire y parvient très bien avec son très bon rythme. Entre séquences spectaculaires et bruyantes type E3 et des passages plus intimistes où les protagonistes se livrent.
C: Qu’est ce qu’on retient du coup ?
P: Pour ceux qui ne connaissent pas la manière dont un jeu de cette taille est fabriqué, c’est particulièrement instructif. On observe beaucoup d’étapes de la production comme l’écriture, les tests de gameplay, les séquences de motion capture en studio et c’est toujours assez fascinant de voir les coulisses d’un événement comme la célèbre conférence E3 d’Ubisoft à Los Angeles...
On a surtout trois personnes qui sont fascinantes à suivre: le charismatique directeur créatif Jason Vandenberghe qui développe au fil du temps une relation assez ambigüe avec ce projet titanesque. Lui, il crève littéralement l’écran, c’est un vrai personnage. On suit également Luc Duchaine, le Directeur de marque, un type très attachant à l’écran. Et enfin le Producteur Stéphane Cardin qui se porte garant d’un paquebot passant d’une cinquantaine de personnes à environ 500 au pic de production.
C : 500 personnes ! Ah oui ! Une petite armée !
Tu ne crois pas si bien dire ! C’est qui est marquant, c’est ce parallèle saisissant qu’on peut faire entre les champs de bataille du jeu et ce long périple que constitue sa création. Il y a d’ailleurs ce passage marquant quand le projet reçoit un feu vert de la direction et que Vanderbergh prend la parole pour motiver ses troupes face au chantier qui les attend.
[> Son speech aux equipes]
C: Donc si je te comprends bien, on vient pour le jeu, mais on reste pour les gens, quoi !
P: Oui, finalement le jeu For Honor est presque relayé en toile de fond pour cette galerie de portraits. Vanderbergh est visiblement un écorché vif. Il livre pas mal de son vécu face à la caméra, sur son enfance et ses rêves pour son jeu. Au fur et à mesure, il développe un rapport torturé avec ce projet qui lui doit beaucoup, mais qui lui échappe progressivement. On sent clairement qu’il souffre lorsque vient le temps de laisser la main, de déléguer. Il finit même par appeler son jeu un « monstre », c’est tout dire.
Loin d’être édulcoré comme on pouvait le craindre, le film montre le prix à payer parfois pour mener un tel projet. Stephane Cardin se retire plusieurs semaines à deux doigts du burnout et Luc Dechaine nous parle de son apnée du sommeil et de sa famille qui lui manque durant ces semaines très intensives.
C: OK, tu m’as donné envie de le regarder. Mais j’imagine que tout n’est pas parfait ?
Probablement, le documentaire ne donne pas assez la parole aux exécutants. Aux “petites mains”, comme on les appelle, même si je n’aime pas le terme. Là, ils sont vraiment relayés au second plan. C’est vrai, être à la direction n’est pas facile, mais avoir les mains dans le cambouis est rarement une sinécure !
En fait, on se dit que ça pourrait presque donner lieu à un format plus long type série, avec des angles différenciés. On reste, a priori, loin cela dit chez Ubisoft d’une culture du “crunch” prônée plus ou moins ouvertement par certains comme Rockstar ou le regretté Telltale.
C: Bref, à t’entendre, un bon documentaire sur le jeu vidéo !
P: Des reportages sur le jeu vidéo, il en existe pas mal dont certains mémorables dans leur manière de dévoiler certaines coulisses de l’industrie. Je pense évidemment à Indie Game The Movie, qu’on ne présente plus ou le passionnant Atari: Game Over de 2014, qui mène l’enquête sur le fameux krach de l’industrie au début des années 80 aux Etats-Unis. On y suit la quête pour les célèbres cartouches du jeu E.T. Ensevelies dans le désert du Nouveau-Mexique, dans un récit palpitant digne d’un Indiana Jones du circuit imprimé.
C : Et puisqu’on est dans les recommandations, voici la mienne : Branching Paths d’Anne Ferrero, qui raconte la galère absolue des indés japonais face à public qui ne sait pas qu’ils existent.
P : Et pour les auditeurs qui s’intéressent aux coulisses du jeu vidéo et à la manière dont une création se fait souvent dans la douleur, il faut absolument conseiller l’ouvrage “Du sang, des larmes et des pixels” de l’excellent journaliste américain Jason Schreier, publié en France chez Mana Books. Une belle occasion de constater que derrière les jeux vidéo de toutes tailles, ce sont des histoires foncièrement humaines qui se jouent. Une chose est sûre, on ne voit plus tout à fait un jeu vidéo du même oeil après en avoir découvert les coulisses via un livre ou un documentaire comme celui-ci.
C : Bon eh bien merci Patrick de nous avoir parlé de Playing Hard de Jean-Simon Chartier. C’est disponible en DVD sur le site officiel du documentaire, mais surtout, et c’est pour ça qu’on vous en parle, ça vient de débarquer sur Netflix en France.
P : Bon par contre Corentin, je suis un peu frustré.
C : Bah, pourquoi ? Tu sembles pourtant très enthousiaste jusqu’à présent !
P : Bah oui mais tout ça va contre ma petite théorie perso qui voulait que For Honor ait été plus ou moins inspiré par une séquence culte de Iron Lord ! Un des premiers hits d’Ubisoft à la fin des années 80 sur Amiga et Atari ST !
C : Ah oui, euh… Bien sûr ! Iron Lord ! Ah ah… Bien sûr que je connais. Pffffttt ! Attend. D’ailleurs j’étais totalement né et en âge de jouer aux jeux vidéo…
P : 1989, c’était hier, non ? À la bonne heure !
« Playing Hard »: le développement de jeu en mode difficile
Si le jeu « For Honor » a été reçu correctement tant par le public que par la critique, il a été le fruit d’un développement intense. Cette gestation, c’est le sujet du film « Playing Hard », un documentaire de 2018 et qui vient enfin de débarquer sur Netflix. Patrick Hellio nous en parle !
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