The Florida Project, Disneyland coté white trash (014 - 09/01)
Corentin : Cinéma aujourd’hui, avec Benjamin Benoit qui est allé voir un petit film américain qui monte, qui monte… et qui, derrière une myriade de couleurs chatoyantes, cache une réalité plus sombre. C’est The Florida Project. Salut Benjamin !
Benjamin : Yo Corentin, aujourd’hui on va faire quelque chose de réjouissant ! On va mettre fin à l’enfance ! Hahahahah ! Mais une enfance toute particulière, qui mérite un peu de contextualisation. A priori c’est le dernier, The Florida Project est un reste de Cannes 2017 sorti le 20 décembre. C’est par Sean Baker et quelques acteurs non-professionnels pour même pas 2 millions de dollars. Un réalisateur pas bien connu en France ayant rendu le très pop Tangerine, sorti en 2015. Pour une faire une punchline rapide, The Florida Project c’est l’histoire de l’amérique de Disneyworld… condamnée à rester sur le parking.
[Extrait Bande Annonce 1]
C : Mais tu t’en doutes, on ne se contentera pas d’une punchline.
B : Et tu as bien raison. Mais il faut que je pose le décor un moment, c’est la partie la plus importante du film. Une réalité sociale. Nous sommes donc à Orlando, en Floride, dans l’état qui entre guillemets “abrite” le tier des mal logés du pays. Ceux qu’on appelle les SDF cachés, la zone grise des dépouillés par la vie et la crise des subprimes. Mais on est à quoi, deux kilomètres de Disneyworld ? Et le film se passe sur une réalité parallèle - entre deux motels peints en mauve flashy et aux noms féériques, construits à l’origine pour abriter les touristes du parc... mais où les chambres sont continuellement occupées par des mamans célibataires, des camés, des gens au commerce louche. Tu vois l’ironie ?
C : Je crois que je commence à capter. C’est une histoire de parallèles.
B : C’est ça. On est coincé entre une multitude de baraques en formes de jouets, des panneaux géants qui vendent de la junk food et des armes, et on suit la vie de Moonie, une fille qui a quoi, six ou sept ans, et de sa maman qui a peut-être quinze ans de plus. Une mère qui davantage choisi d’être une copine qu’une mère, qui paye le loyer vraiiiiment de justesse en faisant quelques combines et parfois des passes, et qui respire pas la maturité et le contrôle dans sa vie. Tu sens le crash d’autoroute à venir.
C : Ce qu’on appelle communément le white trash, quoi.
B : Voilà. Et tu sens que la gamine va pas devenir une adulte formidable non plus, c’est pas un modèle d’éducation et de politesse. Elle et ses amis font les 400 coups, retournent le motel, et s’amusent comme ils le peuvent - ils sont bien obligé de s’inventer un monde imaginaire féérique à eux, à deux pas du vrai Disneyland.
[EXTRAIT BANDE-ANNONCE]
B : Leur enfance est pas terrible, et elle finira par s’arrêter nette à un moment, et bien trop tôt. Et ça, le gérant du motel incarné par Willem Dafoe qui, pour une fois, ne joue pas le rôle d’un mec inquiétant !!! Ca il le voit bien et est prêt à être un peu compréhensif, sans pour autant faire des miracles. Le film parle de ça. C’est une histoire très carnavalesque.
C : Carnavalesque ?
B : Ah, c’est là que SUPER FAC DE LETTRES intervient ! Tatatiiiin ! Super Fac De Lettres ! Le carnavalesque, c’est le renversement, notamment des codes sociaux. Au carnaval, le petit peuple a le droit d’être roi pour une journée. Dans The Florida Project, les enfants ont des comportements d’adultes et un vocabulaire d’adulte, et les adultes… se comportent comme des gosses. Tu vois la métaphore filée ? Des Peter Pan trashos, à deux pas de Disney ? C’est ce qui rend The Florida Project super intéressant. C’est un peu plus que “un groupe de gens dont sortir voir un bâtiment qui crame est la plus grande distraction de la semaine.”
C : Et quelles aspérités pourrais-tu dégager du film ?
B : Je passe mon tour sur le scénario, globalement très tranche de vie jusqu’à ce que les choses ne se précipitent un peu comme je l’ai sous-entendu il y a deux bonnes minutes. En voyant la bande-annonce, on pouvait croire que c’était « deux gamines coincés dans un parc d’attractions passent du bon temps », c’est bien plus complexe que ça. Une belle photo. Une Floride qui alterne entre soleil qui tape et pluie torrentielle, et évidemment des décors un peu fous, qui cachent l’inverse de ce qu’ils abritent. Attention, la bande-annonce est plus saturée que le film, mais The Florida Project s’inscrit dans une mouvance esthétique qui veut troquer la pauvreté matérielle par une image pop. American Honey plus récemment, Dope, un peu Spring Breakers mais la comparaison est moins ténue. Et surtout des personnages plus subtils qu’ils n’en donnent l’air. Cette gamine est gavante ? Tu te rends vite compte qu’au premier moment où elle va quitter cette attitude, ce sera fini pour elle. Tout se conclut sur une dernière scène réalisée bizarrement mais assez chouette, la seule, avec la première, a avoir une musique originale.
C : Alors, The Florida Project est-il validé par les Croissants ?
B : Absolument. Allez-y vite, je ne donne pas cher de sa peau en distribution. Si vous aimez le ENTRE GUILLEMETS petit cinéma américain, si vous aimez les nuls, les laissés pour compte comme le fait Alexander Payne, les couleurs pop et l’humour décalé, si vous n’avez pas trop eu le temps d’avoir une enfance, The Florida Project est un constat doux-amer qui ne donne pas vraiment du baume au coeur, qui n’est paaaas vraiment un film pour s’évader, mais on y trouve une véritable licence artistique et sociale. C’est un bel objet de cinéma.
C : C’est dit. A la prochaine Benjamin !
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