Benjamin : (Echo) Nous entrons dans une zone dangereuse. Où zone où toute critique devient ambigüe et compliqué. Celle où objectivité et subjectivité se mêlent. Nous entrons… dans le monde des auteurs problématiques.
Corentin : Nous sommes prévenus. De qui on parle aujourd’hui ? Du réalisateur du Monde Secret des Emojis ?
B : Hélas, c’est moins drôle que ça, puisque le sujet du jour c’est Lars Von Trier. Le réalisateur danois est un pilier de l’euroshlock, je vous redirige à ma chronique de Climax à trouver dans le brunch. Mais Lars Von Trier est un provocateur notoire : il a été banni de Cannes durant sept ans après avoir bafouillé des propos pas bien réfléchis en conférence de presse. Comme quoi il avait un peu d’empathie pour Hitler dans son bunker. Lars, éventuellement ces choses-là ce pensent, elles ne se disent point. Et la dernière fois qu’on a eu de ses nouvelles, c’est par le biais de Bjork qui l’accusait de harcèlement et malversations en tournage. Donc euuuuuh c’est un peu compliqué, surtout avec un cinéma aussi extrême.
C : Merci de définir « extrême » dans ce contexte.
B : Le bon cinéma Lars Von Trier est vraiment bon. Je trouve que Melancholia, avec Kirsten Durst, est un excellent film. On retrouve aussi Charlotte Gainsbourg dans Antechrist et Nymphomaniac. Et parfois, il s’enferme dans un dispositif technique minimaliste qu’il appelle le dogme, et ça ça donne la comédie musicale Dancer In The Dark qui est vraiment pffiouu… elle est… sensorielle. C’est à la fois vraiment mon truc et pas du tout mon truc. Et comme on l’a dit, le tournage devait pas être une partie de plaisir. Le cinéma de Lars Von Trier est intense, il est provocateur, il n’est pas toujours sensé. Si on colle tout ça à l’attitude goguenarde du réal, jamais dans la contrition, ça donne une situation complexe. Et en 2018, en plein #MeToo, il est revenu en catimini à Cannes avec The House That Jack Built.
EXTRAIT BANDE ANNONCE
B : En projection à l’Etrange Festival, c’est justement Gaspar Noé qui a introduit ce film comme l’un des plus ludiques du cinéaste danois. Il parle d’un serial killer surnommé Mister Sophistication (rire nasal) incarné par Matt Dillon, qui découvre son hobby à travers les années 70 et 80. Et ce hobby est donc de tuer des gens. On suit cinq tableaux dans la vie de Jack, jusqu’à une véritable catabase. Une catabase littérale. Et pour pas spoiler, je vais pas expliquer ce que c’est. On a donc six chapitres qui divisent un film de deux heures trentes qui, pour le coup, passe plutot vite.
C : J’imagine qu’on a une structure un chapitre égal un meurtre.
B : Bonne intuition. Dans la pure tradition Lars Von Trieresque, il déroule des tableaux, plus ou moins allégoriques, très très vaguement allégoriques, qui construisent l’imaginaire dingo de Jack. Dans le premier, il dépanne Uma Thurman en voiture, et elle se révélera si horripilante qu’elle finira avec un objet contondant entre les yeux. Et on part de là pour arriver dans la surenchère.
EXTRAIT BANDE-ANNONCE 2
C : Pour nos auditeurs qui se poseraient la question : dans quel degré de glauquerie on est ?
B : C’est plus glauque que graphique. Mais c’est quand même assez graphique, donc vraiment très glauque. The House That Jack Built baigne dans de l’humour noire d’encre. Du genre : Jack va cartonner sa femme, les enfants de cette dernière, et il va utiliser sa chambre froide et la rigidité cadavérique pour lui faire prendre une pose grotesque et rigolarde. Et c’est ça le mot-clé : grotesque. Vous pourrez vous positionner à partir de là. Parce que quand on voit cette fameuse maison que Jack construit, je pense que votre cerveau va soit abandonner soit tournebouler de lol.
The House That Jack Built est un objet Lars Von Trieresque au dernier degré : il revisite le genre du serial killer avec des saillies métaphysiques, de la mysoginie, des métaphores, puis du prescriptif. J’aime bien la toute dernière séquence, parce que j’aime les références à Dante. Dans son ensemble, dantesque, le film ne l’est pas.
C : Bon ben au moins vous êtes prévenus.
B : C’est pas le genre de film qu’on va voir par hasard. Étrangement, quand ce sont des êtres humains ou des enfants, personnellement je ne suis pas si dérangé que ça. Ca dépend de votre propre seuil de tolérance. Mais y’a une scène vraiment gratuite envers un caneton, là je me suis dit que c’était pas la peine. C’est un énorme double standard, je sais, mais comprenez qu’avec cette chronique je marche pas mal sur des oeufs.
C : Et c’est l’heure de l’avis final, la sentence sera irrévocable, est-ce que les Croissants recommandent The House That Jack Built ?
B : Vaguement, dans le sens où vous le savez si vous allez aimer ça ou pas, ou du moins si ça vous choquera ou pas. Au moins, avec Noé, on est dans le cinéma radical et iconoclaste. Là, si vous aimez pas ça, vous trouverez ça vide et inutile. Moi je suis vaguement amusé devant, mais je n’y fera pas le chantre du sens au cinéma. C’est un gros film qui, même dans ses meilleurs aspects, n’est pas foncièrement intéressant, donc allez-y si et seulement si l’humour noir de café est votre limonade. Ou si vous voulez tester vos limites. N’y aller pas si vous ne voulez pas soutenir le réalisateur, vous saurez vous le procurer quand même dans quelques mois !
C : Merci Benjamin pour ce conseil avisé… mais bizarre… mais avisé, j’imagine. Et à la prochaine pour de nouvelles aventures !
[Hit the road Jack]
« The House that Jack Built » : une vraie maison de fous
Lars Von Trier choque évidemment par ses paroles à l’emporte-pièce, mais le réalisateur danois cherche également à le faire par son cinéma. Et comme nous l’expliquera Benjamin Benoit, « The House that Jack Built », son dernier film, ne fait pas exception.
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