C : Des enfants qui voyagent à travers l’espace-temps, des fées-aliens surpuissantes, une planète démoniaque, des fleurs qui parlent, une… laitue volante ? Elle est un peu bizarre ta liste de courses, Morgane Giuliani.
M : Mais non ce n’est pas ma liste de courses Corentin ! La mienne comporte au moins 5 fruits et légumes par jour - bon ok c’est faux.
C : Mais qu’est-ce que c’est alors ?
M : C’est l’assemblage bizarrement assorti que propose Un Raccourci Dans Le Temps, le nouveau film de Disney, dans les salles le 14 mars. En anglais, on dit A Wrinkle In Time, et il est adapté du best-seller éponyme publié en 1962. Si tu ne le connais pas Corentin, c’est normal. C’est un roman jeunesse surtout célèbre aux États-Unis, où il est même étudié à l’école. C’est la première fois qu’il est adapté au cinéma. À la réalisation, on a Ava DuVernay, qui a réalisé Selma. C’est la première fois qu’une femme de couleur dirige un film avec un budget de plus de 100 millions de dollars. Le casting est béton : Reese Witherspoon (il faut regarder la série Big Little Lies, dans laquelle elle joue et qu’elle produit), Oprah Winfrey, la papesse de la TV américaine, et Mindy Kaling, des séries The Office et The Mindy Project.
C : Disney a donc mis le paquet pour s’attaquer à ce gros morceau de la culture américaine. Et ça parle de quoi alors ?
M : Un Raccourci Dans Le Temps suit Meg, une petite fille timide, craintive, mal dans sa peau, très proche de son père, joué par le sympathique Chris Pine. Ses parents sont scientifiques et planchent depuis des années sur une méthode pour voyager à travers l’Univers, en ayant recours aux fréquences sonores. Dans le livre, on appelle ça la compraction. Un soir, le père parvient à ouvrir une brèche, et s’y engouffre. Sauf que, patatras : il ne revient jamais.
[EXTRAIT 1]
C : Et 4 ans après la disparition de son père, Meg mène une vie très triste.
M : L’adolescente est déprimée, insolente, n’a pas d’amis et pis, est harcelée par une bande de pestes. De son côté, son petit frère, Charles Wallace, est devenu un petit garçon surdoué, qui s’exprime et réfléchit comme un adulte. Un soir, la famille reçoit une visite impromptue. Il s’agit de la pétillante Madame Quiproquo, jouée par la géniale Reese Witherspoon. Elle a une robe blanche bouffante étrange, on dirait qu’elle a enfilé sa couette et est partie avec. Visiblement, elle connaît Charles Wallace et parle régulièrement avec lui, mais c’est sous-entendu plus que montré. Et ça n’inquiète personne, même pas sa mère. C’est assez déconcertant. Le lendemain, le garçon emmène Meg et Calvin, un camarade d’école de sa soeur, dont on ne sait pas pourquoi il est là, rendre visite à une autre Madame : Madame Qui, jouée par Mindy Kaling. Sa particularité est qu’elle ne parle jamais d’elle-même, elle emprunte des phrases à des gens connus ou des oeuvres culturelles. Bon, à ce moment-là, Meg ne comprend pas ce qui se passe, et nous non plus d’ailleurs. Ils retournent dans le jardin de leur maison et là, ben, une 3e Madame, gigantesque, apparaît. C’est Madame Quidam, la cheffe des Madame, jouée par Oprah Winfrey. Sa vraie particularité, c’est qu’elle a des strass à la place des sourcils, et porte du rouge à lèvres métallique. C’est assez osé.
[EXTRAIT 2]
C : C’est quoi ces histoires de Madame ?
M : C’est assez difficile à expliquer, et c’est un des gros problèmes du film : si on n’a pas lu le livre, c’est parfois franchement compliqué de comprendre ce qui est en jeu quand on nous le montre à l’écran. On ne sait pas qui sont ces Madame : des fées ? des aliens ? En tout cas, elles ont le pouvoir de voyager dans l’espace-temps, et veulent aider Meg et Charles Wallace à retrouver leur père.
C : Tu me parles voyage dans l’espace-temps, ça doit être forcément cool, non ?
M : Eh bien Disney réussit à rendre ça chiant comme la mort, et super kitsch. La première étape du voyage est une planète censées être la plus belle de l’Univers. Eh bien, elle a des prairies très vertes et de l’eau très bleue. Ça pique les yeux, on dirait un écran d’accueil Windows XP avec la luminosité au max. Il y a des fleurs qui parlent, mais on ne comprend pas ce qu’elles disent. Et puis Madame Quiproquo se transforme, on ne sait pas pourquoi, en énorme créature verdâtre qui vole en ondulant. Bon, on dirait une grosse feuille de laitue. Et là on se dit que allez, il va y avoir un peu d’action. Les enfants montent sur son dos, ils se laissent flotter, sauf que les effets spéciaux sont vraiment grossiers et empêchent toute magie d’opérer. À ce stade, même la marionnette d’Un Voyage Sans Fin est plus crédible. Au loin, ils aperçoivent une masse noire énorme qui flotte dans la ciel. Et en fait, c’est Camazotz, une planète sur laquelle vit une sorte d’entité démoniaque, qui s’appelle “IT”. Oui, comme le clown de Stephen King, c’est pas bien d’avoir copié monsieur.
[EXTRAIT 3]
C : Je parie que cette entité démoniaque menace l’Univers tout entier.
M : BINGO ! En fait c’est une métaphore pour symboliser le Mal qui peut se répandre en chacun de nous si on le laisse faire. Et bien sûr, les enfants doivent s’y rendre pour retrouver le père de Meg et Charles Wallace. Bon, là pour le coup, je suis mauvaise langue, car c’est le seul quart d’heure à sauver du film. On bascule dans une ambiance faussement naïve angoissante à la Black Mirror : les enfants doivent résister à tout ce qu’ils voient. Une scène à retenir, qu’on aperçoit dans le trailer. Les 3 voyageurs se retrouvent dans un cul-de-sac avec des pavillons de banlieue identiques. Il y a un enfant devant chaque maison, avec une tenue colorée, et il font tous rebondir un ballon de basket en même temps, jusqu’à ce qu’une maman sorte de chaque maison, et leur dise de rentrer manger. C’est visuellement plus beau que tout le reste du film condensé.
C : On ne garde rien de plus alors ?
M : La direction d’acteurs est épouvantable, à part Reese Witherspoon, très drôle en Madame Quiproquo à la langue bien pendue, et le personnage de Charles Wallace, qui offre un décalage savoureux entre son corps d’enfant et son attitude très adulte. Il vole la vedette à Storm Reid, qui joue Meg. Le jeu d’Oprah Winfrey est pompeux, pesant, monotone, ennuyeux. Mindy Kaling ne fait que sourire et balancer des phrases empruntées à Shakespeare. Une fois, elle cite OutKast. La scénariste a dû penser que c’était moderne, sauf qu’on est en 2018. Mais la palme de la gêne revient au personnage de Calvin, le camarade d’école de Meg. Le garçon est censé avoir 12-13 ans, et on lui demande d’avoir un regard beaucoup trop intense et sexuel pour son âge. Et encore une fois, on ne comprend pas ce qu’il fait là. Bref, Un Raccourci Dans Le Temps est un beau plantage, le scénario présente plein d’incohérences, les Madame sont mal amenées, les effets spéciaux dignes d’un téléfilm. On en sort avec une impression d’occasion manquée. La seule modernité est d’avoir choisi une actrice métisse pour jouer Meg, blanche dans le roman.
C : Pour celles et ceux qui sont quand même motivés ou ont envie de se faire leur propre avis, Un Raccourci Dans Le Temps est en salles le 14 mars. Merci Morgane Giuliani et à très vite !
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