C : Sensation du festival de Cannes 2018, où il était présenté en avant-première et en compétition pour la Palme d’Or, Under The Silver Lake est le nouveau film de David Robert Mitchell, à qui l’on doit notamment le génial It Follows. Il est en salles depuis le 8 août. Morgane Giuliani l’a vu pour nous, bonjour Morgane !
M : Bonjour Corentin ! Under The Silver Lake est un premier thriller pour le réalisateur américain de 44 ans. On y découvre Sam, jeune homme proche de la trentaine, qui se laisse vivre à Los Angeles sans travailler et sans payer son loyer. Son quotidien est rythmé par l’espionnage de ses voisines, dont une en particulier : Sarah. Blonde, souriante, un peu bizarre, elle semble sortir d’un clip de Fleetwood Mac. Mais du jour au lendemain, Sarah disparaît, et Sam décide de partir à sa recherche. Dans le même temps, un énorme producteur hollywoodien est aussi porté disparu, un tueur de chiens sème la terreur à travers la ville, et Sam tombe sur un fanzine étrange, où il est question d’un tueur de chiens, justement, et de secrets bien gardés au fond d’un lac.
EXTRAIT 1
M : On avance en eaux troubles durant la première moitié de Under The Silver Lake, où les intrigues s’empilent dans un mille-feuilles absurde. Le quotidien est parsemé d’étrangetés qui prêtent à sourire, avant de glacer le sang. Alors qu’il cherche Sarah, Sam se rend de fête farfelue en fête farfelue, organisées autour du nouveau groupe à la mode : Jesus and the Brides of Dracula. Ces étrangetés ne sont que le reflet de cette ville profondément bizarre qu’est Los Angeles. Une ville de solitude, d’immensité, où se rassemblent des fantassins fauchés en quête de célébrité, de plaisir et de sens, quitte à tomber dans la caricature et vendre son corps. Les tenues et attitudes sont poussives, et les personnages n’ont pas grand chose d’humain. Écrit avant l’affaire Weinstein, le film de David Robert Mitchell part de l’envie de découvrir ce qu’il se trame dans les villas luxueuses des hauteurs de Los Angeles.
C : Dans une interview publiée dans Paris Match en août 2018, le réalisateur déclare : “Je voulais parler de la quête de sens presque mystique de ces complotistes qui poursuivent des chimères et cherchent des réponses à la vacuité de l’époque dans ce que l’on nous cache, avec cette certitude qu’il doit bien y avoir ailleurs quelque chose de plus grand, de plus magique, qui nous dépasse.”
M : On croit que le personnage de Sam est comme nous, perdu dans cette mascarade hollywoodienne, mais son discernement n’est pas toujours au rendez-vous. Son obsession frôle la paranoïa : y-a-t-il un système, une caste, qui nous cache des informations ? Comment savoir si on n’est pas en train de se faire avoir car on n’arrive pas à voir les messages cachés que cette supposée caste dissimule partout ? Son enquête, qui a tout du jeu de piste enfantin, se mêle à ces questionnements existentiels.
EXTRAIT 2
C : Ce côté “thriller étrange”, et cette opposition entre des aspirantes célébrités et une élite privilégiée, ça rappelle un peu Mulholland Drive, non ?
M : Comme dans le chef d’oeuvre de David Lynch sorti en 2001, on a un thriller très glauque au coeur de la machine hollywoodienne, montrée comme une créature cauchemardesque. Chacun croit avoir sa propre individualité, mais n’est, au fond, qu’un rouage au sein d’une mécanique bien huilée. C’est sur ce cynisme absolu que repose le film. Et puis, il y un grand sens du détail. Si vous êtes attentif, vous remarquerez que Under The Silver Lake possède quelques lieux de tournage communs avec LaLaLand, comme l’observatoire de Griffith. Hasard ou pas, difficile de ne pas faire de rapprochements entre les deux films, qu’on peut voir comme les 2 faces d’une même pièce, Under The Silver Lake en étant la face très (très) sombre.
C : Tout comme LaLaLand, Under The Silver Lake est parsemé de références à la pop culture.
M : L’appartement de Sam est rempli d’affiches de vieux films hollywoodiens, il a un poster de Kurt Cobain au-dessus de son lit, il a de très vieux numéros de magazines de jeux vidéos etc Dans Under The Silver Lake, David Robert Mitchell présente la pop culture comme un fil qui nous connecte les uns aux autres, mais aussi, qui nous retient, pieds et poings liés. Au fond, le film pose ces 2 questions : d’où vient le rêve hollywoodien ? Ne nous fait-il pas plus de mal que de bien ?
EXTRAIT 3
C : Est-ce que c’est pas un peu réducteur ?
M : C’est un point de vue qui se tient. D’autant que David Robert Mitchell mêle presque tous les médiums de la pop culture : le cinéma, la musique, les comics, les jeux vidéos, et l’âge d’or d’Hollywood y flotte comme un fantôme. Au fur et à mesure de l’intrigue, le personnage de Sam apprend à ouvrir les yeux, et au début, on se moque de lui parce qu’on le trouve ridicule avec son obsession des messages cachés, et parce que certaines trouvailles paraissent trop grosses pour être crédibles. Jusqu’à ce qu’on se prenne, à notre tour, au jeu.
C : C’est l’acteur britannique Andrew Garfield qui incarne Sam. Ces dernières années, il s’est notamment illustré en incarnant Spiderman dans un reboot de la trilogie originale.
M : C’est un registre assez inédit pour lui. C’est un bon choix de casting, parce qu’il a une allure passe-partout, tout en étant capable d’effrayer. Car si ce personnage principal semble, a priori, “normal”, il révèle à certains moments des facettes très obscures.
C : Alors, est-ce qu’on va voir Under The Silver Lake ?
M : Ça tire un peu en longueur - le film dure 2h19 - si bien qu’à certains moments, on se demande où veut en venir le réalisateur. Mais la fin en vaut le coût. La réussite de Under The Silver Lake est de parvenir à faire rire et réfléchir en même temps. S’il ne s’agissait que d’une énième satire du show-business, on s’en serait vite lassé. Mais l’étrange a un but, il n’est pas qu’esthétique. Les nombreux dialogues ou situations absurdes surprennent, donnent du rythme, avec un climax incroyable dans le dernier quart du film. Alors oui : on va voir Under The Silver Lake si on a envie d’être déstabilisé.
C : Under The Silver Lake est en salles depuis le 8 août, merci Morgane Giuliani et à très vite !
« Under The Silver Lake » : un thriller cynique pour millennals en quête de sens
Si Los Angeles était dépeint de manière lumineuse dans « La La Land », ce n’est pas le cas d’« Under the Silver Lake », véritable sensation au dernier Festival de Cannes. Que vaut ce thriller lunaire et sombre ? On en parle avec Morgane Giuliani.
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