Corentin : Il fait chaud, de Villiers-Garges-Sarcelles à Paris Porte de la Chapelle, Lyon et Marseille. Il fait chaud, il fait de plus en plus chaud. Qu’est-ce qu’on peut faire, Thomas ?
Thomas : Ben bois de l’eau, chaipas…
Corentin : Mais je suis allergique à l’eau…
Thomas : C’est pas commun, ça. Bon, ben que dirais-tu d’une boisson légèrement alcoolisée, au goût assez amer, classée troisième au rang des boissons les plus consommées dans le monde après l’eau et le thé ? Que dirais-tu : d’une bonne bière bien fraîche ?
Corentin : Ah bah ça, ça me parle pas mal, même si bon, c’est encore un peu tôt pour l’apéro… On en profite également pour rappeler que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et est donc à consommer avec modération. Donc oui, une bière bien fraîche, ça me branche bien, oui.
Thomas : Eh bien sache que ta bière bien fraîche est une invention récente !
Corentin : Non mais Thomas, je veux juste me désaltérer, pas besoin de me faire un cours d’histoire…
Thomas : Il faut savoir que la bière servie froide, presque glacée, date de la deuxième révolution industrielle, au milieu du XIXe siècle.
Corentin : Et allez, on l’a perdu...
Thomas : Jusque-là, la bière froide (ou au moins fraîche) était un privilège que seuls les plus riches pouvaient s’accorder à prix coûteux.
Corentin : Bon, faut dire qu’on s’en doutait, hein, les amis ? C’est écrit sur votre appli que c’est une chronique gastronomie ET histoire.
Thomas : Mais à qui tu parles ?
Corentin : À personne. Enchaîne. ça remonte à quand la bière, alors ?
Thomas : Eh bien, les historiens et archéologues estiment que c’est un des breuvages fermentés les plus anciens du monde. On trouve des traces de fermentation de grains et d’eau dans des poteries découvertes en ancienne Perse remontant à 3500 avant JC.
Mais les premières grandes civilisations de la bière sont à chercher dans le Croissant Fertile, et plus particulièrement en Mésopotamie. Sumer a ainsi une divinité nommée Ninkasi dédiée à la bière et au brassage. De nombreux textes cunéiformes font mention de la bière, de son industrialisation, de son utilisation religieuse comme offrande, et de son économie. Certains travailleurs étaient ainsi payés en bière.
Corentin : Mais du coup, à quoi ressemblaient ces bières antiques ? On avait déjà le choix entre boire une blonde ou une ambrée, par exemple ?
Thomas : Oui et non. Fondamentalement, la bière mésopotamienne ressemble davantage à une sorte de porridge légèrement alcoolisé. En effet, on mettait à tremper des galettes de céréales dans de l’eau pour provoquer la fermentation. Ce pain liquide était plus énergisant et plus facile à digérer, et constituait une des bases de l’alimentation. Donc non, pas grand chose à voir avec le demi que tu commandes aujourd’hui au bar.
Par contre, on aromatisait déjà la bière, avec des fruits, des épices, du miel… Donc tu pouvais varier les goûts.
Corentin : Bon, dans ce cas, quand est-ce que le pain liquide devient vraiment liquide ?
Thomas : Il faut que la recette passe chez les Egyptiens. Les fresques d’Egypte antique sont recouvertes de mentions faites à la bière et à sa fabrication. Les Egyptiens perfectionnent les recettes mésopotamiennes. Au passage, puisqu’ils vivent dans une région globalement plus chaude que la Mésopotamie, ils vont chercher à rendre la bière plus désaltérante, et donc plus liquide.
En parallèle, d’autres régions du monde font fermenter des céréales dans de l’eau pour en tirer un breuvage proche de la bière : la cervoise en Europe de l’Ouest pré-romanisée, le jiu qu (jio tchu) en Chine et de nombreuses autres boissons en Amérique du Nord, en Afrique ou en Océanie.
Corentin : Donc la bière que l’on boit aujourd’hui, on la doit aux Egyptiens ? Ca fait long avant d’arriver chez nous, quand même. Les Grecs et les Romains n’en buvaient pas ?
Thomas : Pas vraiment : ils préféraient le vin, et laissaient la bière aux populations barbares. Il faut donc attendre la chute de l’empire romain pour qu’une nouvelle culture de la bière émerge en Europe.
01 - Svinkels.mp3
Voici le bon grain, le manger est à la portée de tous les imbéciles, mais notre Seigneur dans sa divine sagesse a prévu une meilleure façon de le consommer. Elevons une prière de remerciement à notre Créateur qui dans sa gloire céleste nous a donné la bière.
Eh oui, la religion - et en particulier le christianisme - va avoir un rôle important dans le développement de la bière, comme on peut l’entendre dans cet extrait du film Robin des Bois : Prince des voleurs, samplé ici par les Svinkels dans leur morceau Cereal Killer.
Ainsi, la bière va renaître dans les monastères d’Europe. En plus des céréales d’origine que sont l’orge et le blé, on va commencer à ajouter du houblon pour donner davantage de goût à la boisson. Surtout, chaque monastère va travailler une recette et une technique propre, conduisant à la naissance de pas mal de variétés différentes.
Corentin : Mais pourquoi dans les monastères ?
Thomas : Déjà parce qu’un moine, ça a beaucoup de temps libre pour faire d’autres trucs que prier. Ensuite, et surtout, parce que les monastères sont des lieux d’accueil : on offre un toit et un couvert aux pèlerins de passage. Et donc, pour remettre tous ces visiteurs sur pieds, on va leur donner de la bière, nourrissante et surtout propre à la consommation. Car au Moyen ge, on se méfie de l’eau qui peut être porteuse de maladie. La bière, par sa fermentation, tue bon nombre de microbes, c’est pourquoi on la préfère à la flotte.
Corentin : Mon allergie à l’eau doit venir de là. Et après, il se passe quoi ?
Thomas : Après, ça varie en fonction des régions. Les provinces correspondant à l’actuelle Allemagne vont devoir suivre les règles de la pureté de la bière qui oblige les brasseurs à n’utiliser qu’un nombre réduit d’ingrédients, à savoir l’eau, l’orge, le houblon et la levure. Dans d’autres régions d’Europe du Nord, on va ajouter des goûts à la bière, via des épices ou des fruits. C’est de là que vient la kriek, la bière à la cerise, belge. En Angleterre, on va distinguer la bière, qui contient du houblon, de l’ale, qui n’en contient pas. La France se concentre surtout sur le vin, et rate cette révolution brassicole de la fin du Moyen ge.
Dans tous les cas, on s’approche peu à peu de ce à quoi ressemblent les bières que l’on boit aujourd’hui.
Corentin : Justement, quand est-ce qu’émergent les bières industrielles qu’on engloutit avec modération lors des soirées ?
Thomas : A peu près au même moment que la bière fraîche, en fait. Le XIXe siècle va voir l’apparition de la pasteurisation qui va permettre de stabiliser et grandement faciliter la production de bière. Les machines de pressurisation, les hydromètres, les fours à séchage… vont faciliter le travail de la bière et permettre sa production en très grandes quantités.
Aujourd’hui, en France, on voit l’émergence d’une importe scène microbrassicole. En effet, après avoir bu pendant des décennies des bières standard industrielles, de nombreuses personnes un peu partout dans le pays ont choisi de se lancer dans l’aventure de la bière et de produire des bières artisanales locales.
Corentin : Merci pour ce retour sur la longue histoire de la bière, Thomas. Mais tout ça n’a pas étanché ma soif. Je te paye un coup après l’enregistrement ?
Thomas : Oh bah écoute, volontiers, tant que c’est avec modération.
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