Corentin : Qui n’a jamais, le soir, été tenté de commander un burger sur une application, livré par une de ces entreprises de la silicon valley ? Pourtant, derrière le faste de ces services, se cache des conditions de travail pas toujours très reluisantes, pas vrai Audrey ?
Audrey : Eh oui Corentin. Ils sont partout. a vélo, à scooters, en trottinette électrique -pourquoi pas- … ils foncent sur les grandes artères pour livrer votre burger du dimanche soir. Toujours avec leur sac en forme de cube sur le dos, aux couleurs de Deliveroo, Glovo ou Ubereats.
Ils sont aussi sur les affiches géantes des bouches de métro parisiennes, parfois affublés de de plusieurs bras, digne des meilleures représentation de la déesse shiva. Oui, ce sont ces hommes, majoritairement, à tout faire. Toujours auto-entrepreneurs. Disponibles à porté de clic. Et cela, quelles que soient leurs conditions de travail... Et c’est bien ça le problème.
C : Car la colère gronde chez les livreurs !
A : Depuis mi-octobre, certains se sont lancé dans un mouvement de grève. Majoritairement ceux travaillant pour la plateforme anglaise Deliveroo. Alors, plutôt que de revenir moi-même sur leurs conditions de travail … je vais laisser la parole à un concerné ... Hadrien. Il est membre du Clap, le collectif des livreurs autonomes de Paris. Il est lui même livreur pour deliveroo Et j’ai pu le rencontrer il ya que semaines… pour qu’il m’explique, en détail, la réalité derrière la commande.
(son … et peu à peu ses paroles se chevauchent jusqu’à qu’on comprenne plus rien)
Donc, clairement, Deliveroo est pas totalement au point quand il s’agit de droit du travail français … et c’est un euphémisme ! Alors dans leur lutte, le CLAP et tous les autres syndicats et collectifs demandent des négociations avec la direction. Et plusieurs garanties, comme la fin de la baisse des rémunérations, la prise en compte de la pénibilité du travail ou encore des plages d’activité garanties.
C : Oui c’est assez hallucinant ce qu’on vient d’entendre … on a du mal à croire que tout ceci se passe en France en 2018. Mais du coup … personne ne tente de changer les choses ? D’un point de vue politique j’entends…
A : Eh bien après recherche … il faut avouer que ça ne se bouscule pas au portillon législatif. Il y a bien eu quelques bases jetées dans la loi travail, portée par Myriam el Khomri, en 2016. L’article 60, très introduit - pour la première fois et de manière très précise - un principe de « responsabilité sociale » pour ces plateformes. Par exemple la prise en charge des frais d’assurances en cas d’accident de travail … ou la contribution à la formation professionnelle du travailleur indépendant. Mais à part ça … eh bien légalement, ça s’arrête là.
Dans les couloirs du Parlement, on évoque tantôt du cynisme de la part des élus, qui laisseraient faire les plateformes comme bon leur semble … tantôt de l’ignorance sur le sujet. Comme si trancher juridiquement sur ce sujet était soit trop compliqué, soit un peu tabou. Le problème, c’est qu’à force d’attendre et se refiler la patate chaude … eh bien ce sont livreurs qui trinquent !
C : Pour être tout à fait honnête, l’incompréhension des élus de la majorité - souvent novices - peut se comprendre. Ces livreurs sont à la fois des auto entrepreneurs … mais en même temps il dépendent d’une plateforme … ils sont salariés ou pas ? Et si c’est le cas, pourquoi on utilise pas le code du travail comme pour tout le monde ?
A : C’est EXACTEMENT le coeur du conflit. Tout se cristallise autour de cette définition … qui peut sembler technique et sans intérêt. Les livreurs Deliveroo ou Uber, sont-ils salariés ? … ou, véritablement, des travailleurs indépendants ? Eh bien la réponse à cette question cruciale définit la suite des évènements. Et seule la loi peut le déterminer.
C : Un débat d’idée existe pourtant dans les couloirs des deux chambres sur ce sujet technique.
A : C’est vrai ! D’un côté, on a Aurélien Taché. Il est député de la République en Marche dans le val d’oise … et au sein de la majorité, c’est lui qui s’y colle. Au printemps dernier, il a donc proposé un amendement dans la loi avenir professionnel… soit la deuxième loi travail.
En gros, l’article proposait NON PAS de créer un cadre légal homogène pour toutes les plateformes … mais que ces dernières développent leurs propres chartes. Chartes qui devront respecter cette fameuse “responsabilité sociale”, instaurée en 2016.
Comme par exemple “la mise en place d’un prix décent pour les prestation de services” et d’autres avantages sociaux, toujours déterminés par ces chartes. Mais surtout -SURTOUT- et ça ouvre sur cette notion : pas de requalification possible en salariat. Le livreurs resteraient donc auto entrepreneurs… et ne pourraient bénéficier du statut de salarié
C : Même si le livreur ne travaille que pour une seule plateforme ? Et que tous ses revenus proviennent de cette plateforme ? On pourrait croire à une dépendance économique … qui, en droit, amène à une “présomption de salariat” si je ne m’abuse.
A : Eh bien non, pas pour la majorité et Aurélien Taché … qui m’a expliqué sa vision des choses par téléphone :
(son Aurélien Taché)
Aurélien Taché et les autres marcheurs misent donc sur la bonne foi des entreprises… D’autant que ces fameuses plateformes sont à la base issue de l’économie collaborative….
Petit bémol, quand même : au printemps dernier, cet amendement a été retoqué par le conseil constitutionnel. La cause : sa proposition était ce qu’on appelle “un cavalier législatif” …
C : Il va falloir expliquer le cavalier législatif Audrey ! Je ne savais pas que les animaux étaient admis à l’assemblée !
A : Rien à voir Corentin ! Un cavalier législatif, c’est un amendement qui n’a aucun rapport avec le reste de la loi. Ce qui est interdit par nos institutions.
Néanmoins, tel un cavalier finalement, Aurélien Taché revient à la charge cet automne … cette fois dans la loi d’orientation des mobilité, la loi LOM. J’ai pu consulter l’avant projet de loi en question… comparer les deux …. et figurez vous que l’amendement est EXACTEMENT le même. A la virgule près ! Donc clairement, le député marcheur croit dur comme fer à son projet … et espère, cette fois, le faire passer.
C : Quelque chose me dit que cette vision des choses ne va pas convaincre tout le monde …
A : Effectivement, à l’autre bout de l’échiquier politique, et même, dans l’autre chambre, un irréductible sénateur fait entendre à sa voix. Bon on est quand même au Sénat donc ce ne sont pas des hurlements … mais quand même ! Dans le groupe communiste, je demande donc Pascal Savoldelli, sénateur du val de marne. Avec son collègue Fabien Gay, ils sont entré dans une bataille parlementaire contre Aurélien Taché et son amendement.
Car pour eux les livreurs sont bien salariés … et devraient pouvoir bénéficier du droit du travail et de tous les avantages qui vont avec. À savoir, un salaire minimum, une assurance chômage, des cotisations retraites et tout ce qui va avec. J’ai pu rencontrer monsieur Savoldelli au Sénat (ici mettre début de son d’ambiance), où il m’a parlé de ce qui le scandalise le plus dans cette situation … et pourquoi il fallait y remédier.
(son Salvoldelli)
C : Du coup … ils ont proposé des amendements eux aussi ?
A : Evidemment ! Mais face au raz-de-marrée en marche, toutes leurs contre propositions ont été rejeté avant même d’embarquer dans la moindre navette parlementaire.
Mais plutôt que de baisser les bras … les sénateurs préfèrent changer de stratégie. Le parlement n’écoute pas ? Pas de problème. Ils iront sur le terrain. C’est pour ça que les deux sénateurs ont débuté un tour de France, au côté du collectif “pédale et tais toi”, pour rencontrer les livreurs, aux 4 coins de l’hexagone. Le but : discuter et sensibiliser ces jeunes, qui le plus souvent ignorent leurs droits … et, surtout, n’ont pas de culture syndicale. Autre initiative, soutenue par les sénateurs : coop cycle. Un logiciel en open source qui peut-être utilisé par les livreurs à une seule condition : qu’ils se forment en coopératives pour de meilleures conditions de travail. L’espoir est alors de remplacer ces plateformes qui, pour le moment, ont la main mise sur le marché.
Pour conclure cette chronique, rappelons quand même que ce débat de niche dissimule une question essentielle : celle de notre rapport au travail et de son évolution. À vous, maintenant, de vous faire une opinion … car si aujourd’hui ce sont les livreurs qui y sont confrontés, d’autres professions pourraient bien être dans une situation similaire un jour !
C : C’est bien noté Audrey ! Merci pour ces pistes de réflexion et à très vite !
Uber Eats, Deliveroo : la discrète bataille législative pour les droits des livreurs
Alors que les conditions de travail des livreurs d’application comme Deliveroo ou Uber Eats restent toujours plus obscures, une discrète bataille législative se joue dans les couloirs feutrés de l’assemblée. Faut-il considérer ces livreurs comme de véritables salariés des plateformes ? Ou bien faut-il tenter de garantir des acquis quitte à sacrifier complètement cet hypothétique statut ? Audrey Travère nous expose tous les enjeux qui se cachent derrière le burger flemmard du dimanche.
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