Corentin : La France est reconnue à l’international pour être le pays du vin et du fromage. Pourtant, il y a également un autre produit, plus discret et pourtant essentiel dans notre cuisine, qui fait la convoitise des autres pays du monde : le beurre. C’est de ce corps gras que tu viens nous parler aujourd’hui, Thomas.
Thomas : Salut Corentin. Effectivement, aujourd’hui, j’ai jugé bon de rendre hommage à un produit laitier plein de sensations pures sans qui la vie serait plus fade et un peu moins riche. Car comme le disait mon grand-père, je cite : “Avec du beurre, ah oui oui oui, avec du beurre, tout est meilleur.” Fin de citation.
Corentin : J’en prends bonne note, et je relance d’un “J’aime le beurre” de Au Bonheur des Dames.
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Thomas : Je vois que monsieur est un esthète. Mais trêve de bataille musicale, et revenons à ce qui nous intéresse : LE BEURRE. Et comme tu commences à me connaître, tu dois bien savoir par quoi je vais commencer.
Corentin : Laisse-moi deviner… par un peu d’histoire, j’imagine ?
Thomas : Bingo ! Donc les premiers beurres fabriqués par l’être humain étaient certainement à base de lait de chèvre ou de brebis, en Afrique ou au Moyen-Orient, aux alentours de 9000 avant JC. Les premiers beurres de vache vont apparaître plus tard, peut-être aux alentours de -5000 ou -4000, après la domestication de l’animal.
Si on fait et consomme du beurre dans les cultures pastorales d’Afrique et du Moyen Orient, jusqu’en Inde même, les civilisations grecques et romaines s’en détourneront, lui préférant l’huile d’olive. Cette préférence est d’abord pratique, l’huile se conservant mieux que le beurre non clarifié sous le climat méditerranéen. En conséquence, Grecs et Romains verront d’abord les consommateurs de beurre comme des barbares nordiques.
Corentin : Eh oui, et qui peut leur en vouloir. C’est tellement bon, l’huile d’olive !
Thomas : Mais le beurre aussi ! Au Moyen ge, la production se répand en Europe du Nord puis de l’Ouest, avec de nouvelles techniques comme la baratte. Cependant, il a mauvaise réputation et est longtemps vu comme la matière grasse du pauvre, les plus fortunés lui préférant le lard ou le saindoux.
Il gagnera ses lettres de noblesse à partir des 17e et 18e siècle, où l’on commencera à distinguer des beurres plus fins que d’autres en fonction de la qualité de la crème - et donc de l’alimentation des vaches dont elle est tirée. Le 19e siècle voit le début de l’industrialisation de la production beurrière, grâce aux techniques de pasteurisation de la crème, de la centrifugation et de la réfrigération. Aujourd’hui, en France, chaque habitant consomme en moyenne 8 kilos de beurre par an, soit le record du monde.
Corentin : Ah ben ça en fait des mottes de beurre pour nourrir tout ce monde, hein ! Tu m’étonnes qu’on a eu peur d’une pénurie de beurre cet année. En tout cas, merci pour ce topo historique, mais ça ne nous dit pas ce qu’est le beurre, en fait. Tu as mentionné la baratte à un moment, j’imagine que ça a un lien.
Thomas : Effectivement. Le beurre est tout simplement le corps le plus gras du lait. Lorsqu’il est trait de la vache, le lait est d’abord écrémé : on va séparer la partie liquide - que l’on boit ou qu’on mélange aux céréales - de la partie grasse, qui va devenir la crème. Or, cette crème peut vite tourner et devenir âcre, puisqu’elle contient encore beaucoup de liquide. On va donc centrifuger ou baratter cette crème, pour séparer la matière solide, le beurre, de la matière liquide, le babeurre.
Ensuite, on va continuer à extraire un maximum de babeurre résiduel en travaillant la masse grasse. Puis on va continuer à le travailler pour lui donner une texture plus douce avant, enfin, d’éventuellement l’assaisonner. Ce sont ces étapes qui sont décrites dans cet extrait de la série documentaire Mind of a Chef, au sein de l’usine Bordier de Saint-Malo, qui produit un des meilleurs beurres du monde.
[02 - bordier.mp3]
On travaille avec un beurre doux, qui n’a pas de sel, qui est sorti de la baratte. Il a une texture cassante. Là, on va le voir tout à l’heure, ça va vivre. On va lui donner un peu de souplesse, un peu de soyeux. Là, tu vois, déjà après trois tours, le granité est en train de prendre de l’élastique. Et quand le beurre va nous dire “je suis prêt”, on va le saler.
Il est ensuite moulé, emballé, et prêt à être consommé.
Corentin : Bon, puisqu’on parle de consommation, tu as une recette à base de beurre pour nous ? Des petits-beurres, par exemple ? Ou du beurre blanc ?
Thomas : C’est parce que j’ai passé une partie de ma vie à Nantes que tu dis ça ? Non, côté recette, j’ai même mieux. Je vais vous apprendre… à faire votre propre beurre !
Corentin : Houlà… Ca m’a l’air ambitieux comme projet. On peut vraiment faire son beurre à la maison ?
Thomas : Oui, c’est pas trop compliqué. Le seul inconvénient, c’est qu’il va nécessiter un peu de matériel, à savoir un batteur électrique. Celui que vous utilisez pour faire des crèmes fouettées ou des blancs d’oeuf en neige. Parce que si vous voulez y aller à la main, vous y serez encore la semaine prochaine, et la crème aura tourné, et vous allez vous empoisonner, et ça sera ma faute. DONC : un batteur électrique, ou rien.
Corentin : C’est bien noté. Et tu me garantis qu’avec un batteur électrique, je peux faire du beurre chez moi.
Thomas : Tout à fait.
Corentin : Bon, on t’écoute : il nous faut quoi ?
Thomas : On va commencer à mélanger dans un grand saladier 500 mL de crème liquide entière - c’est très important pour qu’on ait suffisamment de matière grasse - avec 2 cuillères à soupe de yaourt nature.
Corentin : Oui, parce que si on y va avec du yaourt à la framboise, je suis pas sûr du résultat.
Thomas : Oui, voilà. Les ferments du yaourt vont jouer le rôle d’agents de fermentation. Quand vous avez bien combiné ce petit monde, vous laissez à température ambiante pendant 24 heures. La crème va épaissir et mousser un peu. C’est signe que le processus de fermentation est en cours.
Corentin : Bon, le début n’est pas compliqué : on mélange 500 mL de crème liquide entière avec 2 cuillères à soupe de yaourt nature, on touille bien et on laisse fermenter à température ambiante pendant 24 heures. Ensuite ?
Thomas : Ensuite, vous allez laissez ce mélange refroidir au frigo au moins une heure.
Corentin : On ne peut pas le faire avant ?
Thomas : Non, car les ferments du yaourt ont besoin de chaleur pour agir, d’où la température ambiante. Au frigo, le processus serait ralenti. Et on fait refroidir pour solidifier un peu la masse, tout simplement. Une heure après (ou plus, hein), on va plonger notre batteur électrique et on va commencer à battre. Le mélange se transformera d’abord logiquement en crème fouettée. Puis ça va s’épaissir, et de petits grumeaux solides vont se former. Vous êtes en train de baratter votre propre beurre ! Lorsqu’une masse solide se forme autour des branches de votre batteur et qu’il ne reste plus qu’un liquide blanchâtre dans votre saladier, vous avez votre beurre, et du babeurre. Ne jetez pas le babeurre ! Vous pouvez vous en servir pour faire la recette de pancakes que nous avons expliqué dans la chronique sur Twin Peaks !
Corentin : A réécouter dans le brunch, bien entendu. Donc que je reprenne : on fait refroidir la crème fermentée au moins une heure, puis on la baratte au batteur électrique jusqu’à ce qu’une masse de beurre se forme, bien distincte du babeurre. C’est fini ?
Thomas : Non, il reste un étape cruciale. Pour que votre beurre se conserve et qu’il ne devienne pas âcre, il faut extraire au maximum le babeurre résiduel qui subsiste. Pour ce faire, vous allez plonger votre masse de beurre dans un bain d’eau glacée. C’est très important pour que la masse conserve son intégrité plutôt qu’elle fonde dans vos mains. Donc dans ce bain d’eau froide, vous allez malaxer le beurre jusqu’à ce que l’eau devienne trouble. Jetez l’eau, puis répétez l’opération jusqu’à ce que votre eau - toujours glacée - reste quasiment claire. Il ne vous reste plus qu’à ajouter un peu de sel, si vous voulez du beurre salé, à le malaxer un peu à nouveau pour bien assaisonner l’ensemble, puis à le façonner en boudin que vous conserverez dans du papier sulfurisé, au frigo. Bravo, vous venez de faire du beurre !
Corentin : OK, donc pour finir, on extrait le babeurre en travaillant le beurre dans plusieurs bains d’eau glacée. Quand l’eau reste claire, c’est bon, on assaisonne, on malaxe une nouvelle fois, et on conserve au frigo. C’est effectivement assez simple, ça demande juste un peu de temps. Merci pour cette recette, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
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