Corentin : Pour les quelques-uns qui n’auraient pas suivi, les beaux jours sont de retour, malgré quelques orages ça et là. Et qui dit beaux jours, dit beaux produits. Tu nous avais présenté les produits printaniers dans une précédente chronique, Thomas, donc de quoi viens-tu nous parler aujourd’hui ?
Thomas : Salut Corentin. Aujourd’hui, je viens plus spécifiquement parler d’un de mes produits de printemps préféré : la rheum barbarum, plus connue sous le nom de rhubarbe…
Corentin : Tu veux pas faire une chronique sur la fraise plutôt ? Nan parce que j’aime pas trop ça, la rhubarbe. C’est [insérer ici les raisons pour lesquelles tu n’aimes pas la rhubarbe]...
Thomas : Je te comprends un peu, j’ai moi-même longtemps eu un rapport difficile avec cette plante. Mais si tu me laisses le temps, je vais essayer de te convaincre qu’on peut en tirer beaucoup, de la rhubarbe.
Corentin : Je ne demande qu’à voir. Bon, alors, c’est quoi, la rhubarbe ? Un fruit ?
Thomas : Alors non. La rhubarbe est une plante de la famille des polygonacées, au même titre que l’oseille ou le sarrasin. Et nous, ce que nous consommons, c’est la tige. Les feuilles et les parties rouge vif sont toxiques, puisqu’elles contiennent une toxine qui peut être nuisible consommée en trop grande quantité.
Corentin : Tu vois, en plus, c’est toxique ! C’est pas pour rien que j’aime pas cette saleté !
Thomas : Oui, d’ailleurs, il paraît qu’on a enregistré de nombreux cas d’empoisonnement à la feuille de rhubarbe dans les campagnes anglaises pendant la Première Guerre mondiale, après que le gouvernement ait poussé la population à consommer justement la rhubarbe (sans préciser qu’il fallait manger la tige).
Utilisée par l’homme depuis près de 5000 ans, elle a d’abord été considérée comme une plante médicinale, notamment en Chine et en Grèce. On en consomme quelques dizaines de variétés. Si vous avez la chance de disposer d’un jardin et que la culture de la rhubarbe vous intéresse, lancez-vous, c’est assez simple à entretenir, comme le dit Edouard Thomas, cultivateur dans les Vosges, pour le magazine Rustica :
[01 - Rustica.mp3]
On travaille le sol proche du pied de rhubarbe pour avoir un sol bien aéré, que la rhubarbe puisse avoir une bonne croissance, avec un bon apport de compost. Y’a beaucoup de travail manuel de désherbage et de récolte. On fait une première récolte en mai-juin, et on fait une deuxième récolte en septembre. C’est résistant et même si les feuilles sont attaquées par des maladies, ce qui nous intéresse, c’est le pétiole, donc y’a pas de difficulté au niveau maladie, c’est surtout beaucoup de travail manuel.
Le pétiole, c’est le nom scientifique de la tige. Et donc là, le monsieur utilise la rhubarbe pour en tirer un jus qu’il fait ensuite vinifier.
Corentin : Ah, voilà, parce que ce qui nous intéresse, c’est avant tout la cuisine, hein, on est pas là pour le cours de botanique. Donc on en fait quoi, à part du vin, de la rhubarbe ? Parce que comme ça, c’est surtout très acide.
Thomas : Les recettes de rhubarbe les plus connues vont tourner autour du dessert, avec la tarte à la rhubarbe, la compote, le sirop, et dans une moindre mesure les glaces et les sorbets.
Mais depuis quelques années, les chefs la redécouvrent et la traitent désormais même en salé, en assaisonnement avec des chutneys de rhubarbe, par exemple, ou même en accompagnement avec des volailles ou des poissons blancs. En effet, son goût acide que tu sembles tant adorer, Corentin, rappelle les agrumes, et sa texture ressemble un peu à celle du céleri. Or, citron et céleri accompagnent assez efficacement ces viandes, donc pourquoi pas de la rhubarbe à la place ?
Corentin : Je vois le cheminement, effectivement. Tu as dit que c’était un produit printanier, on en trouve pas à d’autres moments sur les étals ?
Thomas : Symboliquement, l’arrivée de la rhubarbe sur les marchés annonce la fin de l’hiver. Et ça, ça rend la pâtissière Claire Damon très contente, qui s’exprime dans l’émission Très Très Bon, sur Paris Première :
[02 - Claire Damon.mp3]
Moi j’ai plus de plaisir à retrouver la rhubarbe qu’à retrouver de la fraise, je trouve qu’il y a une odeur quand on l’épluche… Ca sent le vert, ça sent bon, ça sent vraiment… super agréable.
Donc globalement, rhubarbe = printemps, mais certaines espèces produisent également en fin d’été/début automne.
Corentin : Bon, en cuisine maintenant. Tu nous fais un canard à la rhubarbe, du coup ?
Thomas : Oh là, non, on va pas rentrer dans les expérimentations, surtout si t’aimes pas la rhubarbe plus que ça. Non, aujourd’hui, on va rester dans les classiques, et on va apprivoiser l’acidité plutôt clivante de la rhubarbe dans une tarte.
Corentin : Une tarte à la rhubarbe pas trop acide ? Je suis prêt à essayer. Il faut une variété spéciale ?
Thomas : Pas du tout. Il s’agit d’une astuce très simple. On va commencer par le plus agaçant : la préparation de la rhubarbe. Pour une tarte fine de taille raisonnable, vous allez prendre 800 grammes à un kilo de rhubarbe. Vous la lavez bien, vous coupez les extrémités abîmées, et vous épluchez tout ça. C’est le plus pénible, l’épluchage. Mais c’est nécessaire, sinon, ça devient filandreux.
Vous avez alors de belles tiges épluchées qui, selon la variété, iront du vert tendre au grenat. Vous en débitez la moitié en bâtonnets pas trop gros, de la taille de petites frites. Quand vous avez fini, vous les mettez dans un récipient, et vous les recouvrez de 100 à 150 grammes de sucre. Vous mélangez pour que le sucre enrobe bien les bâtonnets, vous couvrez et vous laissez au frigo au moins 3 heures.
Corentin : Attends, t’as beaucoup parlé, donc je fais un récap. On lave et on épluche un kilo de rhubarbe, et on en découpe la moitié en bâtonnets. On les recouvre de sucre, on couvre et ça part au frigo. A quoi sert cette opération ?
Thomas : Le sucre va permettre à la rhubarbe d’exsuder une partie de son eau. Le mélange jus de rhubarbe/sucre va créer un sirop naturel dans lequel les bâtonnets vont confire, et perdre une partie de leur mordant. C’est pour ça qu’il faut au minimum 3 heures de repos.
En attendant, on va faire une compote avec la rhubarbe restante. Vous allez donc la découper en tronçons de quelques centimètres, et les mettre dans une casserole avec une goutte d’eau et 250 grammes de sucre. Vous faites cuire à feu doux, en touillant de temps en temps. La rhubarbe va s’affaisser d’elle-même, donc vous n’aurez pas trop de travail.
Corentin : On coupe donc la rhubarbe restante en morceaux qu’on met à cuire doucement avec un peu d’eau et 250 grammes de sucre, jusqu’à ce que ça ressemble à de la compote. Et ensuite ?
Thomas : Ensuite, on va égoutter la compote pour récupérer le jus de cuisson qui servira à lustrer la tarte à la fin. Et puis on a une compote de rhubarbe et on est content. Vous la laissez refroidir, et vous pouvez patienter avant de passer à l’étape suivante. Il faut que les bâtonnets confisent, je le rappelle.
Corentin : Ca veut dire qu’on peut faire ces étapes à l’avance ?
Thomas : C’est bien ça.
Corentin : OK, donc imaginons qu’une nuit vient de s’écouler. On a nos bâtonnets confits, notre compote et notre sirop. On fait quoi ?
Thomas : Dans un grand bol à part, vous allez mélanger un pot de ricotta avec un oeuf, 50 grammes de sucre et un peu de sucre vanillé si vous voulez.
Ensuite, sortez votre plus belle pâte feuilleté achetée, parce qu’il faut vraiment avoir que ça à faire, de préparer sa propre pâte feuilletée. Assurez-vous qu’elle soit pur beurre. Vous posez votre pâte sur une plaque allant au four. Il s’agit d’une tarte fine, donc on n’aura pas beaucoup de rebord.
Enfin, vous étalez l’appareil sur la pâte, en veillant à laisser deux centimètres de pâte sur les bords.
Corentin : Attends attends attends, pas trop vite. Donc on mélange de la ricotta avec un oeuf, du sucre et de la vanille, et on étale ce mélange sur une pâte feuilletée qu’on aura déposée sur une plaque de cuisson. OK, c’est bon, je l’ai.
Thomas : Ensuite, sur le mélange à la ricotta, vous allez étaler votre compote. Et sur la compote, vous allez disposer artistiquement les bâtonnets de rhubarbe que vous aurez égoutté. Vous dorez les bords de la pâte avec un jaune d’oeuf mélangé à un peu de sucre pour que ça caramélise et ça part au four à 180°C pendant une petite demi-heure. Surveillez régulièrement, il faut que les bords de la pâte dorent et prennent une couleur caramel.
Corentin : OK, donc c’est l’heure de l’assemblage : on met la compote sur la ricotta, et on met les bâtonnets sur la compote. On dore les bords, et zou, au four chaud pendant une demi-heure.
Thomas : Quand vous sortez votre tarte du four, badigeonnez-la à chaud avec le sirop de cuisson de la compote pour lui donner plus de brillant. La tarte est prête ! Attendez qu’elle refroidisse un peu, et vous pouvez déguster !
Corentin : Quand la tarte sort du four, on décore avec le sirop, et basta, à table. Merci pour la recette, je vais l’essayer, peut-être qu’elle me réconciliera avec la rhubarbe. On retrouvera la recette en détail sur ton blog dont le lien est en description de la chronique. A bientôt !
Thomas : Je l’espère aussi. A bientôt !
La rhubarbe : du vert et de la fraîcheur dans l’assiette
Quand l’été revient, la rhubarbe également ! Ingrédient particulièrement acide et facile à cultiver, les chefs commencent à le marier avec des plats salés, et notamment des viandes. On parle de cette plante et comment la cuisiner avec l’ami Thomas Hajdukowicz.
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