Corentin : C’est un fait connu : le secteur de la high-tech est encore sujet à beaucoup de sexisme. Au CES 2019, le plus grand salon au monde dédié aux nouvelles technologies, cette problématique est revenue sur la table C’est l’histoire passionnante que va nous raconter Omar Belkaab de FrAndroid. Bonjour Omar !
Omar : Bonjour Corentin ! Aujourd’hui, on va parler de sextoy féminin et de sexisme. Mais avant ça, j’ai une question pour toi : si on te donnais un prix qui encensait ton savoir-faire et ton talent, comment est-ce que tu te sentirais ?
C : Je serai flatté évidemment.
O : C’est normal. Mais si on te retirait ce prix juste après, pour des raisons un peu bancales. Là tu te sentirais comment ?
C : Ah bah je ferai un scandale, direct ! Pourquoi on m’enlève mon trophée ?
O :Ça aussi, c’est légitime comme réaction… Si je t’ai demandé ça, c’est parce qu’il est arrivé quelque chose de similaire pendant le CES 2019 qui est effectivement le plus grand salon tech au monde comme tu l’as si bien dit au début de cette chronique…
C : Et tu as a d’ailleurs déjà fait une autre chronique sur le CES et elle est à retrouver dans le Brunch.
O : Merci pour ce bel instant promo !
Mais pour en revenir à nos moutons, sur ce salon du CES, on trouve chaque année des produits extrêmement variés. C’est donc sans surprise que certains de ces appareils sont liés à la sexualité des utilisateurs et des utilisatrices.
C : Oui technologie et sexualité ne sont pas deux choses incompatibles.
O : Eh oui. Cette année sur le salon, on a pu découvrir la startup Lora Dicarlo qui a créé un sextoy féminin imaginé par des femmes. Et en gros le délire c’est que ce produit il a été conçu pour marcher de manière autonome ; il suffit juste de l’allumer pour qu’il stimule à la fois l’intérieur du vagin et le clitoris. Le but c’est de provoquer des orgasmes améliorés.
Et ce sextoy il s’appelle Osé. O. S.É.
C : C’est « osé » comme nom de produit…
O En écrivant cette chronique, j’ai fait en sorte que ce soit toi qui fasse cette vanne parce que je ne l’assumais pas.
Je disais ! Peu avant le début du salon, l’entreprise Lora Dicarlo a tenté sa chance pour obtenir un CES Innovation Award qui est un prix très prestigieux. Et le sextoy Osé a gagné une récompense dans la catégorie Robotique et Drone ( et ici c’est la partie robotique qui nous intéresse).
C : ET si j’ai bien suivi, ce prix a finalement été annulé par les organisateurs du salon.
O : Exactement ! Ils ont donné un prix à Lora Dicarlo avant de le lui retirer pour des raisons très peu crédibles. Les organisateurs du CES ont d’abord justifié leur décision en disant que le sextoy était obscène et vulgaire.
OK… Sauf que des produits liés à la sexualité on en a déjà vu plein au CES. Ne serait-ce que l’année dernière où une poupée sexuelle robotique a été officiellement présentée sur le salon. Et elle était évidemment essentiellement destinée à nous autres les hommes hétéros.
Mais là, va savoir pourquoi, ça ne posait pas problème. C’est d’ailleurs le propos de Lora Haddock, la fondatrice de l’entreprise Lora Dicarlo au micro de GamerHub TV.
[EXTRAIT LORA HADDOCK]
(traduction : C’est un peu biaisé et leur discours n’est pas très cohérent à nos yeux puisque l’on a vu plusieurs produits différents qui appartiennent au même secteur. Mais quand un produit est strictement pour les femmes ou pour les personnes non-binaires, là ça pose problème. Alors que ce n’est pas le cas des produits dédiés aux hommes)
O J’ai aussi envie de dire que c’est assez hypocrite de parler d’obscénité alors que le salon a lieu à Las Vegas. C’est quand même un peu la ville de tous les péchés… Tu vois ce que je veux dire…
C : Ce qui se passe à Vegas… Tout ça tout ça.
Bref… Les organisateur ont ensuite changé leur discours pour dire que ce sextoy n’avait rien de robotique. Et là encore ça pose problème.
C : Déjà c’est un peu bizarre qu’il récompense le produit dans la catégorie robotique avant de dire que ce n’est pas un robot...
O : Oui déjà. Mais en plus de ça, cet appareil, il a été fabriqué par un laboratoire spécialisé dans la robotique et il répond parfaitement à la définition d’un robot.
Et quoi de mieux qu’une voix robotique pour donner la définition officielle d’un robot.
[EXTRAIT DÉFINITION ROBOT]
Et enfin en plus de ça, il y a eu d’autres produits cette année qui ont gagné le même prix. Il y a eu des aspirateurs (robots du coup); un skateboard et des jouets pour enfants. Mais il n’y a que le sextoy qui n’a pas le droit d’être considéré comme un robot apparemment.
C : Oui donc ça parait assez clair qu’on part sur un bon niveau de sexisme mal dissimulé.
O : Tout à fait. J’en ai parlé avec les représentantes de la marque qui disaient carrément que « les organisateurs du CES avaient peur des vagins ».
Malheureusement dans le secteur de la Tech, c’est quelque chose que l’on peut constater assez régulièrement.
Prenons le cas du CES., On a souvent l’impression d’être dans un salon bien beauf. Il y a très souvent des hôtesses largement moins vêtues que leurs collègues masculins sur les stands. Ça déjà ce n’est pas normal.
Et à ce propos, cette année et l’année dernière, j’ai même vu des femmes déguisées en sirène, je te jure ! Alors que -- est-ce qu’il faut vraiment que je le rappelle -- c’est un salon technologique, pas un film Disney.
C : Et cette ambiance masculiniste elle est représentative du monde de la Tech ?
O : En partie oui. C’est plus subtil, mais le sexisme est bien présent dans le monde de la Tech. Dans la presse spécialisée, il n’y a que très peu de femmes comparé au grand nombre d’hommes. Lors des conférences des grandes marques, des constructeurs, les femmes sont toujours minoritaires voire absentes parmi les personnes qui prennent la parole sur scène.
C : Et il y aussi le problème des inégalités salariales qui revient souvent ?
O : Oui, c’est vrai. Il y a eu souvent des inégalités salariales pointées du doigt chez des entreprises comme Google par exemple et on se rappelle notamment de ce scandale autour d’un employé qui avait publié une note interne indiquant qu’il était normal que les femmes soient moins bien payées parce qu’elles étaient biologiquement différentes.
C : Des propos nauséabonds, effectivement...
O : Totalement. Alors heureusement, Google mène quelques projets pour remédier à ces problèmes et soutient notamment le mouvement Women TechMakers qui œuvre à donner plus de visibilité et de temps de parole aux femmes durant les grands événements Tech.
Et plus globalement, que ce soit chez Google ou d’autres entreprises, il semble y avoir tout doucement une prise de conscience que les femmes doivent oser s’affirmer;
C : Oser s’affirmer… ça rappelle le nom du sextoy dont on parlait juste avant.
O : Oui. Il faut oser parler d’innovation féminine au service du plaisir féminin. Et ce n’est certainement pas un message à étouffer.
C : Eh bien c’est sur cette belle conclusion que l’on va terminer cette chronique. Merci Omar d’avoir osé aborder le sujet.
O : C’était avec grand plaisir !
Au CES, la sexualité des femmes effraie encore
Le sexisme dans la tech est un problème récurrent. Le CES 2019 qui a eu lieu début janvier en a une nouvelle fois été le théâtre et cette fois-ci c’est un sex-toy féminin créé par des femmes qui en a fait les frais. On en parlera avec Omar Belkaab de « FrAndroid ».
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