[son Sabrina boys boys boys]
Corentin : Mais enfin Lucie, pourquoi balancer du Sabrina, au débotté, comme ça, sans préavis ?
Lucie : Je débute cette chronique par une chanson marrante, mais mon sujet est sérieux. Aujourd’hui, je vais vous parler de sexisme dans le milieu de l’informatique. Le 16 novembre, le média spécialisé l’Usine Nouvelle a publié une enquête édifiante sur l’école 42. Pour ceux qui ne la connaîtrait pas, 42 est une école d’informatique créée par l’entrepreneur français Xavier Niel. Il est surtout connu pour être le fondateur de l’opérateur télécom Free. 42 a ouvert en 2013. Son principe est un peu particulier : il s’agit d’une école d’informatique entièrement gratuite. Les élèves n’ont pas de profs pour les encadrer, ni de cours à suivre. Ils doivent apprendre à coder collectivement, en accomplissant des projets donnés par l’équipe pédagogique. Bref, vous l’aurez compris, 42 est une école à part.
C : Elle est d’ailleurs connue pour ses méthodes pédagogiques bien à elle.
L : Oui ! Et elle a plutôt bonne presse auprès du grand public et des médias. 42 est considéré par certain comme l’avenir de l’éducation. D’autres louent l’investissement de Xavier Niel, qui finance le projet et qui permet à ses élèves d’étudier gratuitement, alors que les écoles d’informatique sont généralement très chères. Je prends le temps de vous expliquer ce qu’est 42 car ça va avoir une importance pour la suite.
C : Tu fais bien, mais alors venons en aux faits : de quoi parlait cette enquête de l’Usine Nouvelle ?
L : Le 16 novembre, donc, L’Usine Nouvelle a publié un long article intitulé: “Porno, blagues et dragues lourdes... pas facile d’être une femme à l’école 42”. Pas facile, les mots sont faibles. Dans l’article, plusieurs étudiantes se plaignent du sexisme de leurs camarades, voir de faits de harcèlement. L’une d’entre elles raconte par exemple avoir été poursuivie par un homme qui souhaitait regarder sous sa jupe. Une autre parle aussi de camarades qui regardent des films pornographiques en pleine salle d’étude, ou qui s’échangent des photos érotiques sur la messagerie de l’école.
C : Ah oui. Bonne ambiance. Quelles ont été les réactions à l’article ?
L : Globalement, pas très bonnes. La direction de l’école a réagi en expliquant que très peu de comportements déviants lui avait été remontés. L’une des étudiantes qui a témoigné dans l’enquête de L’Usine Nouvelle a dit que ses propos avaient été exagérés et que l’article généralisait. D’autres ont râlé en disant que le problème n’était pas propre à 42 et que c’était pareil dans toutes les écoles d’informatique.
C : Et alors ? C’est vrai ?
L : Oui et non. Ce que décrit L’Usine Nouvelle semble en partie propre à 42. Parce qu’elle favorise l’autogestion des élèves, l’école permet ce genre de débordements. Il y a plein de petites originalités de 42 qui ont participé involontairement à cette ambiance sexiste. Par exemple, l’école est ouverte 24h/24. Tous les étudiants ont accès aux caméras de surveillance, pour leur sécurité. Sauf que ce système a été utilisé par certains pour suivre des filles et aller les draguer où qu’elles aillent.
C : Ce que tu dis, c’est que ce qui aurait dû être un gage de bien-être pour tout le monde a été détourné par les garçons, en fait.
Voilà. Il y a donc un problème propre à 42. Mais aussi un problème plus général de sexisme dans l’informatique et ses formations. On comptait 16% de femmes dans les filières d’informatique de l’enseignement supérieur en France en 2013. La proportion d’étudiantes préparant un BTS d’informatique était de 7% en 2015. Elle a reculé, puisque ce chiffre était de 10% en 2010. Enfin, les femmes représentent à peu près 8% des élèves en IUT d’informatique. Ces données viennent du rapport «Gender Scan» publié en septembre par le cabinet Global Contact.
C : C’est très peu, en effet. On sait à quoi c’est dû ?
L : Il y a plein de raisons pour expliquer cette faible proportion de femmes dans les études d’informatique. C’est un problème complexe et qui remonte à loin. Il faut savoir qu’il y a toujours eu des femmes qui ont fait de l’informatique. Le premier programme informatique a d’ailleurs été réalisé par une femme, au XIXe siècle : sa créatrice s’appelait Ada Lovelace. À l’époque où l’informatique était un truc réservé aux laboratoires ou à l’armée, où les ordinateurs étaient si gros qu’ils occupaient des pièces entières, il y avait de nombreuses femmes ingénieurEsd dans le domaine. Cette situation a changé le jour où l’informatique s’est ouverte au grand public. On a commencé à nous vendre des ordinateurs pour améliorer notre productivité et nous divertir. Et le marketing a décidé qu’il vendrait ça aux hommes et aux petits garçons, parce qu’ils étaient considérés comme plus à même à travailler ou à passer leur temps sur des jeux vidéo. Petit à petit, l’informatique est devenue un truc de mec.
C : Ah ! Le marketing. Toujours à vouloir mettre les produits et les gens dans des petites cases.
L : Je schématise parce que j’ai peu de temps, mais quand on regarde les statistiques, on voit une claire baisse du nombre de femmes étudiant l’informatique à partir des années 70-80. Aujourd’hui, alors que de nombreuses professions scientifiques se sont féminisées, comme la médecine, on observe le mouvement inverse en informatique. Cette situation est particulièrement vraie dans des pays comme les États-Unis et la France. En plus c’est un problème qui se nourrit lui même. Moins il y a de femmes dans l’informatique, moins elles sont encouragées à y aller. Les écoles et les formations en code sont devenus des zones presque non mixtes, des sphères de sociabilisation masculine. Les femmes y sont des étrangères voir des ennemies, dans le pire des cas. Donc peu de femmes étudient l’informatique, peu travaillent dans les entreprises du Web et de technologies par la suite, encore moins sont encouragées et promues pour faire progresser leur carrière.
C : C’est un peu le cercle vicieux, quoi. Moins il y a des femmes, moins les femmes ont envie d’y aller.
L : Ce que je vous ai décrit en début de chronique peut vous paraître banal. Ce n’est qu’un film porno, ce ne sont que des vannes un peu lourdes qui viennent d’une minorité d’étudiants bêtes. Et c’est en partie vrai. Mais imaginez subir ça pendant 5 ans, 10 ans, toute votre carrière. Être considérée comme une femme plutôt que comme une professionnelle. Être toujours l’autre, l’exception. A force, ça use. Et ça ne donne pas envie. Le résultat, c’est que peu de femmes travaillent dans le milieu de l’informatique, et que beaucoup en partent en cours de carrière. Et les petites filles d’aujourd’hui connaissent Mark Zuckerberg ou Steve Jobs, et pas Marissa Mayer ou Meg Whitman.
[Son Marlène Schiappa]
Vous venez d’entendre Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité femme homme. Elle parle du sexisme dans le milieu de l’entreprenariat et des start-up. Ce n’est pas exactement l’informatique, mais c’est lié. Car aujourd’hui, l’industrie des nouvelles technologie est de plus en plus importante, elle infiltre tout. Les grands de ce monde sont les PDG de Google, Facebook et Amazon. La plupart ont été des ingénieurs avant d’être des chefs d’entreprise. Et le fait que ça ne soit que des hommes est un problème, pour tout le monde. Des produits conçus par des hommes blancs venant tous de pays occidentaux ne peuvent pas avoir un impact positif sur le monde. On a besoin de technologies à l’image de notre société.Ce n’est pas qu’une question d’éthique. C’est aussi logique.
C : Il y a du boulot ! Merci Lucie pour ce point sur les cas de sexisme à 42, et plus généralement dans le monde de la tech.
Sexisme à 42, absence de femmes dans le monde de l’informatique : où est le bug ?
L’affaire des cas de sexisme au sein de l’école 42 est le symptôme d’un problème plus grand : l’absence anormale de femmes dans le monde de l’informatique. Lucie Ronfaut du « Figaro Tech » essaye d’expliquer pourquoi.
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