Tu peux nous en dire un peu plus, Thomas ?
Thomas : Salut Corentin. Effectivement, tous les 9 septembre, les habitants et habitantes de la République Populaire Démocratique de Corée, puisque c’est son nom officiel, célèbrent le Inminjeong-gwon Chang-geon-il, que l’on traduira par chez nous par le Jour de l’établissement du gouvernement populaire.
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C’était un extrait de musique nord-coréenne à la gloire de Kim Jong-il, enregistrée par l’artiste Christiaan Virant dans les années 2000, depuis la Chine, sur les ondes basse fréquence émises par la Corée du Nord.
Corentin : OK, maintenant qu’on a écouté la musique nord-coréenne et qu’on sait ce qui est célébré, pourquoi est-ce important ?
Thomas : Eh bien comme son nom l’indique, le jour de l’établissement du gouvernement populaire marque, pour les nord-coréennes et coréens, la naissance de leur pays. Le 9 septembre 1948, Kim Il-sung, père de Kim Jong-il et grand-père de Kim Jong-un, proclame la création d’une nouvelle nation indépendante. Le 9 septembre 2018 marque donc les 70 ans de cette proclamation.
Corentin : La Corée du Nord est au coeur de l’actualité depuis de nombreuses années, pour plein de raisons différentes pas toujours très rassurantes. On parle de son programme nucléaire, de ses relations tendues avec tous ses voisins et les Etats-Unis, de l’affaire lié à la sortie du film L’interview qui tue ou encore de l’ancien basketteur Dennis Rodman. Mais au final, c’est quoi, la Corée du Nord ?
Thomas : Ah, c’est sûr, c’est un pays qui fait l’objet de nombreux fantasmes. On va d’ailleurs revenir là-dessus en fin de chronique. Mais pour commencer, on peut dire de la Corée du Nord que c’est la seule dictature d’inspiration stalinienne héréditaire (c’est important) du monde. Elle est située au nord…
Corentin : SANS BLAGUE
Thomas : Oui, étonnant, non ! Donc au nord de la péninsule coréenne, et partage des frontières terrestres avec la Chine, la Russie et la Corée du Sud. Avant la Corée du Nord (et, de facto, la Corée du Sud), il y a eu plusieurs royaumes et même un empire, réunissant plus ou moins les différentes régions qui forment la péninsule coréenne.
Corentin : Oui, mais ça, c’était avant. Comment est née cette Corée du Nord ?
Thomas : Pour le savoir, il faut remonter à la fin du XIXe siècle. Suite à la fin de la guerre sino-japonaise en 1895, la Chine des Ching est obligée de reconnaître le Corée comme un état indépendant. Mais la fête est de courte durée pour les Coréennes et les Coréens, puisqu’en 1905, le Japon impose son protectorat sur le pays, avant de l’annexer totalement en 1910.
Corentin : C’était la stratégie impérialiste du Japon de l’époque, qui occupe également une partie de la Mandchourie et Taïwan, si je ne m’abuse.
Thomas : Tout à fait. Pendant 35 ans, la péninsule coréenne et sa population va subir le joug japonais, avec tout ce que cela implique de privations, d’injustice et de réduction en quasi esclavage. Avec la Seconde Guerre mondiale, le sort des Coréens et Coréennes s’aggrave. J’imagine que tu as entendu parler de ce que l’on appelle les “femmes de réconfort” ?
Corentin : Oui, c’est cet euphémisme particulièrement sordide qui désigne les Coréennes, Chinoises, Philippines et autres femmes venant des territoires occupés par le Japon, forcées de se prostituer dans les bordels de l’armée japonaise.
Thomas : C’est ça. Les chiffres du nombre de femmes victimes de ces traitements horribles ne font pas l’unanimité, mais on estime qu’il y a eu entre 200 000 et 300 000 femmes de réconfort. Aujourd’hui encore, cette question est l’objet de tensions entre les Corées et le Japon, notamment parce que depuis quelques années, le gouvernement japonais, très conservateur, de Shinzo Abe, nie l’importance des crimes de guerre commis par son pays pendant ce conflit.
Bref, pour cette raison et beaucoup d’autres, une résistance se met en place entre 1910 et 1945, notamment dans le nord du pays, avec des milices communistes menées par Kim Il-sung, futur père de la Corée du Nord. Evidemment, ces milices sont soutenues par l’URSS. Lorsque la paix est signée entre tous les belligérants, les Etats-Unis - qui hébergeait le gouvernement coréen “légitime” en exil, et l’URSS, décident de désarmer conjointement les restes de l’armée japonaise en poste dans la péninsule. Les Etats-Unis s’occuperont du sud, l’URSS du nord, la limite étant fixée au niveau du 38e parallèle.
Corentin : Ah, je pense que je vois dans quelle direction ça va. Le désarmement a pris du temps, et les superpuissances ont ainsi pu influencer la destinée de chacune des deux parties de la Corée.
Thomas : A peu de choses près, c’est ça, oui. La Corée du Sud est proclamée le 15 août 1948. Comme une réponse, un mois plus tard, la Corée du Nord fait de même. A partir de ce moment, les deux Corées vont devenir un terrain de tension dans le contexte de la Guerre froide, tensions qui culmineront avec la Guerre de Corée qui se déroule de 1950 à 1953. Si un armistice a été signé entre les deux pays, ils sont, à ce jour, toujours officiellement en guerre.
Corentin : Merci pour ces rappels historiques. Maintenant est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi la Corée du Nord fait l’objet de tant de fantasmes ?
Thomas : Il faut noter que la Corée du Nord est un pays ermite, avec très peu d’échanges extérieurs. Il nous est donc très compliqué d’avoir des informations directes sûres sur ce qu’il se passe à l’intérieur du pays. La plupart des faits sont rapportés par des employés de l’aide humanitaire, qui sont très encadrés par le pouvoir nord-coréen, et par les agences de presse de Corée du Nord et du Sud.
Sauf qu’on ne peut pas prendre tout ce qui est dit par ces agences pour argent comptant. Côté nord, évidemment, l’information sert le pouvoir et va dire que tout va bien et que le programme nucléaire est génial. Côté sud, on va tout faire pour décrédibiliser l’adversaire. C’est pour ça que des informations zinzins comme le fait que tous les jeunes garçons doivent adopter la même coupe de cheveux que Kim Jong-un, ou le fait que ce dernier ait fait exécuter un de ces oncles à coup de missiles, parviennent jusqu’à nous. Sauf que dans la plupart des cas, ces informations sont fausses.
Corentin : Oui, il faut faire attention avec ce qui sort sur ce pays. Pour finir, est-ce que tu peux nous dire si on verra un jour une Corée à nouveau unifiée ?
Thomas : Non, parce que je ne suis pas devin. Mais on observe depuis quelques années une sorte de détente entre les deux pays, malgré les velléités nucléaires du Nord, et une sorte d’ingérence américaine depuis que Donald Trump est arrivé à la tête des Etats-Unis. Fin août 2018, pour la première fois depuis 3 ans, des familles nord et sud coréennes se sont retrouvées le temps de quelques jours, symbole de cette détente et du dialogue entre les deux pays.
Mais avant qu’une réunification ait lieu, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Les réticences viennent surtout du Sud, où la jeune génération n’a aucune attache spécifique avec ce pays jumeau qu’elle a appris à craindre toute sa vie. La petite centaine de Sud-coréens qui ont retrouvé leurs proches en août 2018 est pour l’essentiel au moins octogénaire. En outre, la Corée du Sud a vu les conséquences de la réunification allemande et le prix qu’a payé l’Allemagne de l’Ouest pour parvenir à ce résultat. Et elle n’est pas très chaude pour payer ce prix et gérer un afflux de population à l’idéologie complètement différente de la sienne.
Corentin : Je vois, c’est pas pour demain. Merci pour toutes ces informations, à bientôt, et je te propose qu’on se quitte en musique avec un nouvel extrait de pop nord-coréenne !
Thomas : A bientôt !
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