Corentin : Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui Thomas, c’est avec ta casquette d’historien que tu viens nous livrer ta chronique. Alors de quoi tu viens nous parler ?
Thomas : Bonjour Corentin. Tu n’es pas sans ignorer qu’en cette année 2018, on célèbre pas mal d’anniversaires remarquables…
Corentin : Ah ! Je te vois venir, on va parler des 50 ans de Mai 68, c’est ça ?
Thomas : Non, un truc plus ancien…
Corentin : Ah ben ça va être les 70 ans de la déclaration d’indépendance d’Israël dans ce cas. Attention, c’est un sujet compliqué…
Thomas : Non, toujours pas. Plus ancien encore.
Corentin : Bon ben va pour les 100 ans de la fin de la Première Guerre mondiale. Mais on en entend parler depuis 2014, de cette histoire, donc j’espère que t’as bossé la question pour qu’on apprenne des trucs…
Thomas : Non, encore plus ancien…
Corentin : Bon… Les 300 ans de la Guerre de la Quadruple-Alliance ?
Thomas : Non.
Corentin : Les 600 ans du siège de Rouen par les Anglais ?
Thomas : Non.
Corentin : Le 1100e anniversaire de la mort de Wang Jian, empereur chinois de Shu ?
Thomas : Toujours pas. Plus vieux…
Corentin : Attends… ne me dis pas… T’as quand même pas osé… Ca serait pas les 2350 ans du Siège de Tyr par Alexandre le Grand ?
Thomas : Bingo ! En tout cas, bravo, t’as l’air d’être au point sur les différentes célébrations de 2018. Je l’avais pas vu venir, Wang Jian… Mais revenons à nos moutons !
Corentin : Oui, hein. Donc pourquoi il est important, ce siège de Tyr ? Et d’abord, c’est où, Tyr ?
Thomas : Tyr, c’est une ville portuaire du Levant. Aujourd’hui, elle est située au sud de la côte libanaise. Mais en -332, l’année qui nous intéresse, elle appartenait à la Phénicie. C’est une ville prospère, puisqu’elle sert de hub commercial entre la Phénicie, la Perse et l’Egypte. Surtout, ses habitants la considèrent comme imprenable, puisqu’il s’agit d’une île, fortifiée de surcroît. Cette réputation d’imprenabilité n’est pas usurpée, puisque plus de deux siècles auparavant, les armées babyloniennes de Nabuchodonosor l’ont assiégée pendant 13 ans, sans parvenir à percer ses murs.
Corentin : On voit bien où c’est, mais tu n’as pas répondu à ma première question : pourquoi ce siège est important ?
Thomas : Il est important à cause de deux empires, et de deux hommes. Le premier, c’est Darius III, roi de Perse, à la tête de l’empire Achéménide. Le second est un jeune souverain âgé de 24 ans, leader du jeune empire macédonien : Alexandre le Grand.
[01 - Alexander The Great.mp3]
Corentin : Wow wow wow ! Qu’est-ce que ça a à voir avec la choucroute, tout ce boucan ?
Thomas : Mais enfin ! C’est un extrait du morceau Alexander The Great de Iron Maiden ! Bref, en -332, Alexandre a unifié la péninsule grecque et a déjà infligé une lourde défaite à Darius III à la bataille d’Issos, grâce à laquelle Alexandre ajoute l’Anatolie à ses territoires. Souhaitant poursuivre ses conquêtes vers l’Est, Alexandre doit s’emparer du Proche-Orient et de l’Egypte, pour couper tout soutien logistique naval à Darius.
Corentin : Et comme tu as dit que Tyr était un port stratégique, j’imagine que c’est pour ça que ce siège a lieu.
Thomas : Effectivement. D’autant plus que tous les autres ports de la côte levantine se sont rendus aux troupes macédoniennes. Tyr, forte de sa position quasi imprenable, tient tête, et refuse d’ouvrir ses portes. Le siège commence en janvier -332.
Corentin : On comprend les enjeux, mais du coup, comment est-ce qu’on fait pour assiéger une île, qui plus est fortifiée, à cette époque ?
Thomas : C’est une excellente question, abordée par la très bonne chaîne Youtube de vulgarisation historique Nota Bene :
[02 - Nota Bene.mp3]
Une question se posait tout de même : comment assiéger les murailles si la cible n’est ni plus ni moins qu’une île fortifiée ? Les précédents conquérants attaquaient la ville par la mer, mais Alexandre, fort de ses armées nombreuses et de leur ingénierie développée préféra ignorer cet obstacle. Il décida d’utiliser les ruines de la vieille ville de Tyr située sur la côte pour construire une énorme digue qui relierait l’île au continent.
En d’autres termes, pour entrer dans l’histoire, Alexandre modifie la géographie. De fait, il part avantagé dans son entreprise, puisqu’un pont naturel sous-marin, immergé à environ 2 mètres de profondeur, relie l’île au continent. C’est là-dessus qu’il va construire sa digue. Cependant, les travaux vont durer des mois, puisque dès qu’ils seront suffisamment proches, les armées de Tyr commenceront à envoyer flèches et projectiles sur les macédoniens. Ils vont même jusqu’à balancer des bateaux incendiaires contre les travaux, ralentissant d’autant plus l’avancée des constructions.
Corentin : Ca a l’air compliqué cette histoire. Du coup, comment Alexandre s’en sort ?
Thomas : D’abord, il va réunir une flotte, avec des navires venant des villes phéniciennes récemment conquises, d’Anatolie, et de Chypre. Avec près de 250 bateaux à sa disposition, il va pouvoir contrer les plans maritimes de Tyr. Ensuite, ces bateaux avaient embarqué des catapultes qui bombardent les murs de la ville. Cependant, rien n’y fait, Tyr ne plie pas. Le blocus et les tentatives d’attaques des remparts depuis la digue nouvellement construite durent jusqu’en juillet -332.
Il faut attendre qu’un des navires assiégeant parvienne à percer une petite brèche dans les murs Sud de la ville. Dès qu’il a vent de cette ouverture, Alexandre envoie ses meilleurs hommes. Après une résistance de l’armée tyrienne, les troupes macédoniennes rentrent en nombre dans la cité, et la mettent à sac. 8000 tyriens sont tués ou exécutés, et près de 30 000 habitants sont réduits en esclavage. Alexandre n’épargnera que celles et ceux qui se seront réfugiés dans le temple dédié au dieu Melqart, que les Grecs associaient à Hercule. Il faut savoir que certains considéraient Hercule comme un ancêtre de l’empereur macédonien.
Corentin : Un bilan lourd, comme quoi il ne faisait pas bon se mettre à dos Alexandre le Grand. Quelles sont les conséquences plus globales de ce siège ?
Thomas : Avec ce dernier port phénicien pris, Alexandre a coupé la route maritime levantine à Darius. Le roi perse ne peut plus compter que sur un ravitaillement égyptien et sur ses propres terres. Alexandre le sait bien, c’est pour ça que quelques mois après Tyr, il assiège la ville de Gaza, lui assurant ensuite un passage en sécurité en Egypte. Après ces conquêtes, l’empire Achéménide est coupé de la Méditerranée. La conquête de la Perse par Alexandre va pouvoir commencer.
Corentin : Et au passage, il fondera la ville d’Alexandrie. Merci pour ce petit cours d’histoire, Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
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