Août, tcha tcha tcha

Corentin : Un des marronniers de l’été, c’est le fameux chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens. Il nous rappelle à quel point nous adorons les bouchons, et aussi que, globalement, une bonne moitié des français ont terminé leurs vacances alors que l’autre moitié les entame. On a une explication historique à ce phénomène, Thomas ?
Thomas : Oui. C’est essentiellement lié à l’arrivée et au développement des congés payés. A partir de 1936, le Front Populaire qui dirige alors le pays met en place 2 semaines de congés annuels obligatoires pour toutes et tous les travailleurs. Les françaises et français vont donc découvrir progressivement les joies des vacances sur la côte, particulièrement en été. Avec l’augmentation du temps de congés, et pour fluidifier les services touristiques, une règle tacite va se mettre en place dans le pays : on aura les juilletistes, et les aoûtiens. D’ailleurs, tu es plutôt juillet ou août, mon bon Corentin ?
Corentin : Moi ? Oh, bah en bon parisien d’adoption, j’aurais plutôt tendance à dire août.
Thomas : Ah bah ça tombe bien, parce que c’est l’objet du reste de la chronique !
Corentin : Ca par exemple !
Thomas : N’est-ce pas ! Bon, déjà, est-ce que tu t’es déjà posé la question de l’étymologie des différents mois de l’année ?
Corentin : Non, mais j’imagine que tu vas éclairer ma lanterne…
Thomas : Bon, d’abord, petit quiz : comment sont appelés les quatre derniers mois du calendrier ?
Corentin : Attends… Donc on a septembre, octobre, novembre et décembre. Quel rapport avec août ?
Thomas : Pour l’instant, je te l’accorde, rien. Mais si tu regardes le préfixe de chacun de ces mois en “-bre”, tu constates que ça fait septem, octo, novem et decem, qui, en latin, signifient sept, huit, neuf et dix.
Corentin : Oh… je vois où tu veux en venir… Il y aurait pas un décalage entre cette dénomination et le fait que septembre soit le neuvième mois de l’année, octobre, le dixième, etc… ?
Thomas : Tout à fait ! Ce décalage nous vient du calendrier de Romulus, considéré comme le premier calendrier romain. Il comportait 10 mois en tout. Les 4 premiers mois de Mars, Avril, Mai et Juin étaient dédiés à des divinités, et les 6 suivants étaient juste un décompte : Quintilis, Sextilis, September, October, November et December. Cinq, six, sept, huit, neuf et dix.
Corentin : C’est bien joli ton histoire, mais je vois pas l’ombre d’un août dans ta liste de mois romains.
Thomas : Oui, pour la simple et bonne raison qu’il n’existe pas encore, le mois d’août. Il correspond en fait au mois de Sextilis, le sixième de l’année.
Corentin : Ah, OK. Mais du coup, pourquoi le décalage des mois en “-bre” aujourd’hui ? Il était pas bien, le calendrier à 10 mois ?
Thomas : Pas vraiment, parce que chaque mois comportait une trentaine de jours, ce qui fait qu’à la fin de l’année, on se retrouvait avec une cinquantaine de jours sur les bras. Du coup, sous la République romaine, à partir du VIe siècle avant JC, on passe à un calendrier à 12 mois. Janvier et Février sont créés.
Corentin : Et du coup, ça explique le décalage. Je vois. Et c’est aussi sous la république romaine que naît le mois d’août ?
Thomas : Toujours pas. Il faut attendre deux événements. Tout d’abord, la réforme du calendrier julien. Introduite, comme son nom l’indique, par Jules César, alors qu’il est consul de Rome, elle permet de rééquilibrer les mois en nombres de jour (on passe à une année de 365 jours). Et au passage, César renomme le mois de Quintilis en Iulius, qui deviendra juillet. On est jamais mieux servi que par soi-même.
Le deuxième événement, c’est le passage de la République à l’Empire, sous le règne d’un certain…
Corentin : Auguste !
Thomas : Bravo, 5 points pour Gryffondor ! Auguste, donc, pour faire bonne mesure avec son prestigieux prédécesseur, renomme le mois de Sextilis en Augustus. C’est de là que vient le mois d’août.
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C’est un extrait du refrain de Luv(sic) Part 4, de Nujabes et Shing02. Si vous avez bien tendu l’oreille, vous aurez remarqué que les paroles font justement référence à César et Auguste.
Corentin : On voit bien d’où vient le mois d’août, mais comment ça se passe ailleurs ? Parce que tu nous as parlé du calendrier romain. J’imagine que toutes les cultures n’ont pas adopté le même système.
Thomas : Tu as tout à fait raison, Corentin. Bon, déjà, on a une distinction à faire entre calendrier lunaire, calendrier solaire, et calendrier lunisolaire. Pour faire simple, les calendriers lunaires se basent sur les différentes phases de la lune : un mois correspond ainsi à une lunation, d’une nouvelle lune à l’autre. Les calendriers solaires se basent sur les révolutions de la terre autour du soleil : une révolution correspond à une année. Et les calendriers lunisolaires font coïncider ces deux systèmes, avec des cycles assez compliqués.
Tout ça pour dire qu’évidemment, les mois des différents calendriers ne correspondent pas forcément à ce que l’on connaît. Le calendrier chinois, qui est lunisolaire, place le mois d’août à cheval sur les mois de Liuyue et Qiyue (tshihue). C’est assez similaire avec le calendrier hébraïque, lui aussi lunisolaire. Août se situe entre les mois d’Av et d’Elul.
Avec le calendrier musulman, qui est lunaire, la correspondance est encore plus compliquée, puisque les cycles seront différents. Dans les années à venir, août tombera pendant le mois de Dhu al-Hijjah, mais sur le très long terme, ce seront les mois de Muharram, puis Safar, puis les autres, qui seront concernés.
Corentin : Wo la la, mais c’est compliqué, ces histoires de calendriers ! Pourquoi ça ne peut pas être plus simple ?
Thomas : Mais parce que ce sont les humains, qui sont complexes ! L’histoire des calendriers, et plus largement l’histoire de la mesure du temps, ça en dit beaucoup sur les cultures et civilisations concernées. Ca parle évidemment de notre rapport à la nature et aux saisons, mais également de notre rapport aux astres, et par extension, à la religion.
Après, il y a aussi, littéralement, des calendriers politiques. Pendant la Révolution Française, par exemple, la Convention a mis en place le calendrier républicain, pour mesurer l’année non plus en fonction de célébrations religieuses, mais de la nature, et donc de la raison. Ainsi, le mois d’août se retrouve à cheval sur les mois de Thermidor, le mois de la chaleur, et de Fructidor, le mois des fruits.
Pour finir, je ne peux pas parler du calendrier turkmène, en vigueur entre 2002 et 2008. Dans un élan de mégalomanie du président à vie de l’époque, Saparmurat Niazov. Ce dernier a choisi de renommer les mois en fonction d’événements de sa vie et de la mythologie turkmène. Le mois de Yanwar (janvier) s’appelait Turkmenbasy, soit le leader des turkmènes, titre que s’était octroyé Nyazov. Le mois d’Aprel (avril, donc) a été transformé en Gurbasoltan, qui était le prénom de la mère de Nyazov. Et le mois d’Awgust (août) est devenu Alp Arslan, du nom d’un empereur Seldjouk qui aurait initié la grande migration des peuples turcs en Asie Mineure.
Corentin : Eh ben on en aura appris des choses ! Merci pour ces rappels calendaires sur le mois d’août. Et tu voulais qu’on se quitte en musique ?
Thomas : Oui, tout à fait, avec un morceau des californiens de NOFX, le bien nommé August 8th. A bientôt !
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