Corentin : Les mois de juin et juillet 2018 vont être rythmés par les soirées pizza devant la TV, les clappings islandais et les insultes à l’arbitre, puisqu’a lieu la Coupe du Monde de Football, en Russie cette année. Pour l’occasion, Thomas, tu viens nous parler de l’histoire de ce sport.
Thomas : Salut Corentin. Oui, tout Footix que je suis, l’histoire de ce sport est intéressante parce que si on creuse un peu, on trouve des sacrifices humains, des vieux monsieurs en robe, des émeutes médiévales, des tragédies et des moments de grâce comme la littérature n’en fait plus.
[01 - Elmer Food Beat.mp3]
C’est un extrait de la chanson Du Rififi dans la surface, des nantais de Elmer Food Beat, fervents supporters du FCN. Je préviens tout de suite, il n’y aura pas de I Will Survive dans cette chronique.
Corentin : C’est bien noté. En tout cas, tu as éveillé ma curiosité avec ce pitch. Concrètement, ça commence quand, le foot ?
Thomas : Ca dépend…
Corentin : Allez, c’est parti les embrouilles… Je savais que ça allait pas être simple ton histoire.
Thomas : Nan mais écoute avant de critiquer ! Ca dépend de ce que tu appelles football. Si on parle des règles modernes, celles qu’on verra appliquées dans les stades de Moscou ou de Kaliningrad cet été, on a une date : 1848. Enfin, on en a deux : 1848 et 1855.
Corentin : TU VOIS, MÊME QUAND TU DIS QUE C’EST SIMPLE, C’EST COMPLIQUÉ ! JE LE SAVAIS !
Thomas : Nan mais c’est la faute aux Anglais qui au XIXe siècle ont réglementé le football. Deux règles ont cohabité, celle de Cambridge et celle de Sheffield, actées respectivement en 1848 et 1855. Il faut attendre 1863 pour que les clubs anglais naissants se réunissent pour mettre en place des règles communes. C’est le début de la Football Association, l’équivalent anglais de la FFF.
Corentin : Bon, OK, ça, c’est pour les règles. Mais tu as parlé de sacrifices humains et tout, là. De quoi s’agit-il ? Parce qu’à part certains qui hurlent “A mort l’arbitre”, il me semble qu’on a un peu délaissé ces pratiques...
Thomas : Il faut savoir que jouer avec les pieds en poussant une balle, ça n’est pas nouveau. Et surtout, ça n’est pas propre à l’Europe. Dans de nombreuses civilisations, on trouve un équivalent du football.
En Amérique centrale, un jeu appelé ulama par les aztèques et pitz par les mayas existe depuis 1500 avant notre ère. Les règles varient en fonction des époques, mais on a une constante : il faut faire passer une balle dans une sorte de but. On estime que ce sport avait des implications dépassant le simple divertissement. Certains archéologues estiment que ces matchs pouvaient avoir lieu pour résoudre des conflits plutôt que par les armes. Les représentations montrent souvent des captifs aux côtés des joueurs, captifs qui pouvaient être sacrifiés en cas de défaite.
Corentin : OK pour les sacrifices humains. Quid des vieux en robe ?
Thomas : En Chine, aux IIIe et IIe siècles avant JC, on pratique le cuju (sou~tchju), un sport aujourd’hui considéré comme un ancêtre direct du football, dixit la FIFA. Au départ jeu militaire, il a évolué en sport pratiqué à la cour, où les gens portent des vêtements pas super pratiques pour le sport comme des robes.
Les versions antiques du foot sont innombrables : on en trouve en Grèce, à Rome, chez les Amérindiens du nord, chez les Maori, en Inde…
Corentin : Oui, on va pas tous les passer en revue. Mais j’imagine que toutes ces versions n’ont pas donné naissance au football qu’on connaît. Donc quelle en est l’origine la plus probable ?
Thomas : Les historiens du sport ont deux théories. La première est qu’il descendrait du calcio florentin, un sport collectif où deux équipes de 27 joueurs s’affrontent pour marquer le plus de buts possibles. Sport violent, il est surtout pratiqué par la noblesse, et mêle des gestes qu’on retrouve aujourd’hui dans le foot, mais aussi le rugby.
Corentin : Ah, et ça serait de là que vient le mot “calcio” italien qui désigne justement le foot ?
Thomas : On ne te la fait pas ! Oui, c’est bien de là que ça vient.
Corentin : OK. Et la deuxième origine théorique ?
Thomas : C’est la plus probable, en fait. Le football trouverait ses racines dans le jeu de soule. Ce sport d’abord pratiqué en Picardie pendant le haut Moyen ge aurait traversé la Manche lors de la conquête normande au XIe siècle.
Les règles sont… chaotiques : deux équipes au nombre de joueurs variables s’affrontent autour d’une balle. Le seul objectif est de faire parvenir la balle auprès d’un but qui peut être une église, un étang, bref, un point notable dans le paysage. La seule vraie règle établie est qu’il ne faut tuer personne.
Corentin : Oula, oui, on a parcouru un peu de chemin depuis cette époque. Qu’est-ce qui explique l’évolution vers le jeu de balle au pied tel qu’on le connaît aujourd’hui ?
Thomas : Durant la Renaissance, la soule reste très populaire en France et en Angleterre. Mais après, elle décline, jusqu’à quasiment disparaître au XIXe siècle. De fait, la pratique “brutale” de la soule s’efface en faveur d’une discipline plus régulée. Il faut savoir qu’à la fin du XVIIIe siècle et qu’au début du XIXe, le sport réintègre peu à peu la formation des jeunes gens. Les écoles anglaises vont donc normaliser les jeux de polo, tennis, cricket… pour pouvoir organiser des compétitions entre établissements.
C’est à cette époque que le football dérivé de la soule se “civilise” : on va déterminer un nombre de joueurs fixe, des règles plus étoffées que “pas tuer l’adversaire” vont être mise en place, les matchs vont être régulés par un arbitrage… Le football moderne est né.
Corentin : J’y vois un peu plus clair. Et du coup, comment un sport d’écoles anglaises a pu conquérir le monde comme ça ?
Thomas : Plusieurs facteurs expliquent ce succès. D’abord, il y a l’Angleterre du XIXe siècle, qui est présente un peu partout dans le monde avec son empire colonial et va y emmener le football et ses règles.
Ensuite, étant à la pointe de la technologie de l’époque, l’Angleterre va envoyer ingénieurs et ouvriers spécialisés aux quatre coins du monde pour installer des fonderies, des chemins de fer et autre matériel industriel. Sur place, ces ouvriers vont enseigner le foot aux populations locales. Ca explique le succès de ce sport en Amérique Latine.
Enfin, il y a les échanges d’étudiants et de professeurs. Déjà à l’époque, ils voyagent en Europe et dans le monde, et emmènent eux aussi le foot. Tout ça a lieu durant la deuxième moitié du XIXe siècle, signe que l’adoption de ce sport a été très rapide.
Du côté des femmes, l’émergence du foot féminin est à mettre en parallèle avec les premiers mouvements féministes anglais, à la fin du XIXe. Mais les clubs féminins décolleront durant la Première Guerre mondiale : les hommes étant sur le front, les femmes les remplacent à l’usine, et adoptent les mêmes pratiques sportives.
Corentin : Aujourd’hui, le football, c’est surtout synonyme de millions d’euros, de business et de starification. Qu’est devenu ce sport du XIXe siècle ?
Thomas : Mais il n’a pas bougé ! Les règles ont peu évolué, et il est toujours pratiqué par des millions de personnes dans le monde. Il suffit d’aller sur n’importe quel terrain, homologué ou non, de par le monde pour constater que le foot existe toujours. Le foot, certes, c’est Zidane et Neymar, mais c’est aussi une communion sociale. Comment ne pas avoir des frissons quand un stade entier reprend en choeur ceci :
[02 - You’ll never walk alone.mp3]
Ce You’ll Never Walk Alone est entonné par la foule du stade d’Anfield avant chaque match de Liverpool pour rappeler aux joueurs que le public, c’est le 12e homme, et que dans la victoire comme dans la défaite, ceux qui charbonnent sur le terrain ne sont pas seuls.
Alors, oui, il y a l’argent, il y a les scandales de la FIFA, il y a le dopage, il y a les comportements détestables de quelques abrutis qui entachent ce sport, il y a des tragédies comme Furiani, Hillsborough ou de Port Saïd, il y a le drame humain qui se joue au Qatar pour la préparation de la Coupe du Monde 2022. On n’oublie pas tout ça, et il faut continuer à le dénoncer.
Mais le foot, c’est surtout des hommes, des femmes et des enfants qui, dans les tribunes ou sur la pelouse, vivent une passion commune. C’est les matchs de David contre Goliath lors de la Coupe de France. C’est un phénomène qui dépasse le simple exercice physique de ses origines pour devenir un pilier culturel moderne.
Corentin : Quel enthousiasme ! En tout cas, merci de nous avoir éclairé un peu plus sur l’histoire de ce sport, et à bientôt !
Thomas : A bientôt.
0:00
7:51
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.