Thomas : Hey, Corentin…
Corentin : Moui, Thomas ?
Thomas : Tu veux… tu voudrais pas que je te raconte une histoire cochonne, dis ?
Corentin : (offusqué) Quoi ? Mais enfin ! On est à l’antenne ! Et puis c’est quoi cette expression, “histoire cochonne” ? T’as cru qu’on était au collège ? Non, je peux pas te laisser faire ça !
Thomas : Oh là, je crois qu’il y a méprendre ! Je parlais de l’histoire du cochon. Tu comprends, le 5 février 2019, nous entrons dans l’année chinoise du cochon. Du coup, je me disais que c’était l’occasion de parler de cet animal clivant et de sa relation à l’être humain.
Corentin : Ah, je comprends un peu mieux. Mais sois plus clair à l’avenir, parce que bon, tu comprends, c’était plutôt confusant tout ça. Bon, alors, commençons par le plus simple : ça vient d’où, les cochons ?
Thomas : D’un point de vue biologique, l’origine du cochon tel que nous le connaissons aujourd’hui fait toujours l’objet de débats entre généticiens et archéologues. Parmi les deux théories en cours, il descendrait directement soit du sanglier, soit d’une espèce de cochon sauvage intermédiaire. Idem sur son origine géographique de base : on ignore s’il vient d’Europe ou d’Asie.
Une chose est sûre : le cochon (ou son ancêtre le plus proche) est domestiqué à partir de -13.000, au Moyen-Orient. Il faut noter qu’à l’époque, c’est le premier animal domestiqué uniquement pour son usage une fois abattu.
Corentin : Attends, je comprends pas bien.
Thomas : Eh bien par exemple, la volaille est d’abord élevée pour ses oeufs, les moutons pour leur laine, les bovins pour leur force de travail et leur lait, idem pour le cheval ou le chameau. Le cochon ne peut rien faire de cela. Pour qu’il soit utile, il faut le tuer.
En ce sens, le cochon est domestiqué à partir du moment où les êtres humains se sédentarisent. C’est ce qu’explique l’historien Michel Pastoureau dans l’émission de France Inter 2000 ans d’histoire en 2009 :
[01 - 2000 ans.mp3]
Quand l’homme devient agriculteur, il devient aussi éleveur de cochon, dans les premiers villages du Proche et du Moyen-Orient, et il fournit un apport d’alimentation carnée qu’on ne connaissait pas jusque-là.
Corentin : Ah bah oui quand même, parce que comme le dit l’adage, tout est bon dans le cochon !
Thomas : Tu ne crois pas si bien dire ! Evidemment, il y a la viande, qu’on va consommer fraîche, salée ou séchée. Mais il y a également ses poils, qu’on va utiliser pour différentes brosses et pinceaux. Il y a ses os, qui réduit en poudre feront de la colle. Il y a sa peau, que l’on tanne facilement. Bref, rien n’est perdu. Il acquiert ainsi un statut d’animal à tout faire.
Au fil des siècles, l’humain va transformer le cochon. D’abord dans sa forme, où l’on va faire des croisements pour privilégier des espèces robustes, faisant plus de viande : on va passer d’un cochon assez allongé et haut sur pattes à un animal plus tassé et volumineux. Et ensuite dans sa couleur : le petit cochon rose que l’on voit partout aujourd’hui est lui aussi le fruit de croisements. Par le passé, il était noir, roux, tacheté ou brun, comme certaines espèces rustiques qui subsistent aujourd’hui. Mais dans tous les cas, le cochon conserve son statut d’animal d’élevage fétiche, comme le chante Juliette dans son titre bien nommé Tout est bon dans l’cochon.
[02 - Juliette.mp3]
En plus de tous ces avantages, le cochon est un animal qui se reproduit assez rapidement, avec une gestation d’environ 4 mois, pour des portées d’une dizaine de petits. Et le cochon atteint sa taille adulte au bout de quelques mois, pratique pour l’élevage massif.
Enfin, le cochon se nourrit du tout venant. Pendant l’Antiquité et au Moyen ge, on le laisse aller dans les forêts où il se nourrit des fruits et racines à disposition. Mais on le trouve aussi dans les villes où il débarrasse les rues des détritus.
Corentin : Est-ce que c’est parce que c’est un animal aussi polyvalent que nos tirelires ont parfois la forme de petits cochons ?
Thomas : C’est partiellement lié, oui, car l’élevage d’un cochon à la ferme représente un investissement, dont va tirer les fruits (à savoir tous les sous-produits du cochon) sur le long terme. Il est d’ailleurs surprenant de constater que l’idée de la tirelire cochon a existé dans différents endroits du monde à des moments différents pour des raisons différentes.
On la trouve au XVe siècle en Indonésie, parce que le mot javanais pour désigner les économies ressemble phonétiquement à celui qui désigne le sanglier. Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, on façonne des tirelires en terre cuite en forme de cochon parce que l’argile utilisée est appelée “pygg”. On en trouve aussi en Chine aux alentours des Xe-XIe siècle, parce que le cochon est symbole d’opulence.
Corentin : Ah ben tiens, puisque tu en parles, que représente le cochon dans le zodiaque chinois ?
Thomas : Selon les différentes légendes qui expliquent la création de ce zodiaque, une entité surnaturelle - parfois, il s’agit de l’empereur de Jade, parfois il s’agit du Bouddha - appelle différents animaux pour qu’ils prennent position dans le zodiaque. Après, les histoires divergent. Le fait est que 12 animaux se pointent, le rat en premier, suivi du buffle, puis du tigre… Le dernier arrivé est le cochon. L’année du cochon marque donc la fin d’un cycle zodiacal.
On dit des personnes nées pendant l’année du cochon qu’elles sont calmes et intelligentes, avec des tendances artistiques et raffinées.
Corentin : Ce sont donc des traits de caractères que l’on doit retrouver dans un douzième de la population, toutes de la même génération, donc si vous connaissez des personnes qui ressemblent à la description qu’en a fait Thomas, pas de doute, vous aurez affaire à quelqu’un né l’année du cochon.
Mais plaisanterie à part, le cochon n’est pas accepté dans toutes les cultures. Je pense notamment au judaïsme et à l’islam. On sait pourquoi ?
Thomas : Tu fais référence au cacherout juif et au haram musulman. Longtemps, on a pensé que ces règles avaient un fondement hygiéniste, le judaïsme et l’islam étant nés dans des pays chauds, où la conservation de la viande de porc, sensible aux parasites, était compliquée et risquait d’entraîner des maladies. Mais la recherche récente rejette ces suppositions, pour la simple et bonne raison que dans d’autres cultures sous les mêmes latitudes, la consommation de porc est légale.
Les explications les plus plausibles aujourd’hui vont dans deux directions. La première, c’est évidemment le fait que, vu de l’extérieur, le cochon est un animal sale, se nourrissant de détritus et vivant dans sa propre fange.
L’autre explication est d’ordre biologique. De fait, les humains ont environ 95% d’ADN en commun avec les cochons. Physionomiquement, les cochons ont des organes similaires aux nôtres, disposés de la même façon. Aussi, du fait de cette proximité, on peut imaginer que, symboliquement, manger du porc, c’est quasiment comme manger un être humain.
Corentin : Une interprétation un peu sombre mais néanmoins compréhensible de cet interdit. Dans tous les cas, merci Thomas pour ces rappels sur l’histoire qui nous lie aux porcins, et bonne année à celles et ceux qui sont concernés par le passage à l’année du cochon !
Thomas : Tcshi shin yôo yû !
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