Corentin : Bon, avec l’arrivée du 14 juillet, on va encore avoir droit aux débats infinis sur les réseaux sociaux qui consistent à savoir ce que l’on célèbre exactement ce jour-là. Tu as une réponse définitive pour trancher ça une fois pour toutes, Thomas ?
Thomas : Ah, je vois à quoi tu fais référence, Corentin. Il y a effectivement celles et ceux qui voient là une célébration de la prise de la Bastille de 1789, et d’autres qui estiment que c’est en fait un rappel de la Fête de la Fédération de 1790.
Corentin : Oui, voilà. Alors, c’est laquelle ?
Thomas : Eh ben c’est pas clair. La loi qui instaure le 14 juillet comme fête nationale française date de 1880. A cette époque, la IIIe République est encore jeune, et les tentations royalistes sont encore bien présentes. Du coup, l’Assemblée Nationale veut créer des symboles d’union forts. Et donc le texte de loi ne précise pas à quel 14 juillet ça fait référence.
Corentin : Ah ben super. Et pourquoi ça ?
Thomas : D’un côté, on a la prise de la Bastille, qui signe le début de la fin de la monarchie. Et ça, c’est un symbole fort pour les Républicains de l’époque. Mais ça chagrine un peu les encore très nombreux royalistes de France.
Donc de l’autre, on a la Fête de la Fédération, événement un peu moins connu, qui en 1790 avait pour objectif de réunir tous les Français, dans un grand élan d’union nationale. Louis XVI y prête serment sur la Nation et la constitution, devant les députés des différents départements du pays. Toutes les instances politiques françaises étaient représentées, pour apaiser les esprits.
Corentin : Je vois. Donc les députés de 1880 laissent planer le doute sur la célébration véritable, et chacun voit midi à sa porte et se satisfait du symbole. C’est plutôt malin.
Thomas : Après, si la loi ne dit pas de quoi il s’agit, sur le site du Gouvernement, on peut lire qu’en fait, c’est la Fête de la Fédération qui est célébrée, sans plus de précisions. Donc c’est pas clair.
Corentin : Bon, OK, j’ai compris, c’est pas cette année que les réseaux sociaux vont se calmer sur la question. Du coup, tu nous as parlé un peu de la Fête de la Fédération, mais quid de la prise de la Bastille ? Parce que ça reste un événement mondialement connu, mais au final, pourquoi est-ce qu’il est si important ?
Thomas : C’est un événement important parce qu’il marque le début officieux de cette Révolution. Plein d’autres dates auraient pu marquer son début : la rédaction des cahiers de doléance au printemps 1789, l’ouverture des Etats Généraux du 5 mai de la même année, ou encore le Serment du Jeu de Paume, raconté par Maestro dans la célèbre série animée Il Etait Une Fois l’Homme :
[01 - Il était une fois l’homme.mp3]
Le 20 juin, nous nous sommes tous réunis au Jeu de Paume, parce que la salle des Etats Généraux avait été occupée par les soldats du roi.
Evacuez, messieurs ! Ordre du roi !
Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes.
Voilà ce qu’a répondu Mirabeau aux forces du roi. Et nous avons pris nom d’Assemblée Nationale.
Corentin : Attends attends attends, tu vas un peu vite. Etats Généraux, Jeu de Paume… OK, ce sont des mots qui nous parlent, mais il faut peut-être un peu recontexturaliser avant, non ?
Thomas : Oui, au temps pour moi. Donc à la fin du XVIIIe siècle, la France est en crise. Il y a d’abord une succession de catastrophes climatiques dans les années 1770-1780 qui conduisent à de très mauvaises récoltes, donc à une hausse importante du prix du pain. Il y a l’endettement de la France pour soutenir les Etats-Unis dans leur guerre d’indépendance. Il y a également la circulation des idées des Lumières, où flottent les notions de liberté et d’égalité. Il y a enfin le fait que le roi Louis XVI ait renvoyé en l’espace de 2 ans plusieurs ministres des finances, incapables de réguler la crise économique et financière du pays.
Bref, face à tout cela, Louis XVI n’a d’autre choix que de réunir les Etats Généraux à Versailles, à savoir une assemblée des représentants des 3 ordres : le clergé, la noblesse et le Tiers Etat.
Corentin : OK, on voit un peu mieux où on met les pieds. Et donc, comment on passe de ces Etats Généraux à la prise de la Bastille ?
Thomas : Les débats sont houleux à Versailles, et le roi refuse de reconnaître la jeune Assemblée Nationale. Le 11 juillet, il renvoie un de ses ministres, Necker. Cet événement va mettre le feu aux poudres. Les Parisiens attendait beaucoup de Necker dans la résolution de ces crises. En le renvoyant, Louis XVI affiche son dédain pour les attentes du peuple. En plus, la rumeur que le roi veut envoyer l’armée pour contrôler Paris court et enfle. Les 12 et 13 juillet, le peuple de Paris s’agite et met en place des comités. Le matin du 14 juillet, il va aux Invalides pour récupérer des armes et des canons. Et en fin de matinée, il se rend à la Bastille, pour récupérer la poudre.
Corentin : C’était quoi, la Bastille ?
Thomas : Construite au XIVe siècle, la Bastille est une forteresse qui faisait partie de la muraille défensive de Paris. Avec le temps et l’agrandissement de la ville, elle est devenue une prison, comme l’explique Jean-Marc Léri, directeur du musée Carnavalet, dans la série documentaire Paris, une histoire capitale.
[02 - Bastille symbole.mp3]
Ce qui est le plus formidable château-fort jamais construit n’a jamais servi à rien. Ca n’a servi que de prison. En fait, c’était le symbole de l’arbitraire royal, c’est-à-dire qu’on pouvait y emprisonner quelqu’un sur lettre de cachet, c’est-à-dire comme ça, sur simple dénonciation. Une lettre de cachet du roi pouvait faire emprisonner quelqu’un à la Bastille. C’était le symbole de l’arbitraire royal.
Corentin : On s’attaque donc davantage à un symbole ? Tu as parlé de poudre, quand même.
Thomas : Oui, il y a 20 000 barils de poudre stockés dans la forteresse. C’est l’objectif premier des Parisiennes et des Parisiens. Mais malgré tout ça, le peuple de Paris a aussi conscience qu’il s’attaque à un symbole, auprès duquel ils vivent depuis toujours.
Corentin : On comprend les tenants et aboutissants, il va falloir maintenant rentrer un peu plus dans le dur. Comment on fait pour prendre une forteresse quand on est une foule armée uniquement d’outils de ferme et de quelques fusils rouillés ?
Thomas : Donc après avoir pris les Invalides, la foule se déplace à la Bastille. Le siège commence vers 10h00. La garde de la forteresse, dirigée par le gouverneur de Launay, est sur les remparts. Les canons sont sortis et prêts à tirer.
Plusieurs délégations rencontrent De Launay jusqu’en début d’après-midi, sans conclusion favorable aux Parisiens. Pendant ce temps, la foule s’impatiente, gronde, et interprète chaque mouvement ou signe venant de la forteresse comme une menace.
Corentin : Oui, la tension devait être palpable, d’autant plus qu’en juillet, il devait faire chaud dans les rues parisiennes.
Thomas : Les différents récits parlent effectivement d’une journée chaude sur le plan météo. En début d’après-midi, tout s’enchaîne. De premières escarmouches ont lieu. Les armes récupérées aux Invalides sont mises en place. Quelques parisiens parviennent à rentrer dans la cour de la Bastille, et chargent avec des chariots remplis de foin en flammes, pour faire brûler les portes. Il n’en faut pas plus pour que De Launay décide de faire tirer. Une centaine de Parisiennes et Parisiens meurent.
Une dernière délégation, beaucoup plus remontée, arrive sur les coups de 14h00. Elle réclame la reddition pure et simple de la Bastille. Evidemment, De Launay refuse. Les combats reprennent de plus belle. Grâce à l’intervention de militaires ralliés à la cause révolutionnaire, la Bastille tombe à 17h00, non sans que De Launay ait tenté un dernier coup, décrit dans le film La Révolution Française, de Robert Enrico :
[03 - De Launay.mp3]
Mes amis, écoutez ! “Nous avons 20 000 barils de poudre. Acceptez la capitulation, sinon, nous ferons sauter le quartier et la garnison.” Citoyens, citoyens, pas de capitulation ! Il faut baisser les ponts !
De Launay est traîné jusqu’à l’Hôtel de Ville pour y être jugé, mais est tué puis décapité en cours de route.
Corentin : J’imagine que les réactions à Versailles ont dû être radicales.
Thomas : Pas vraiment. La nouvelle de la prise de la Bastille arrive très tard. Entre temps, Louis XVI a demandé le retrait de l’armée des alentours de Paris, sans savoir ce qu’il s’est passé.
Corentin : Ah, oui, c’est le fameux “Rien” que l’on retrouve inscrit dans son journal en face de la date du 14 juillet 1789.
Thomas : En fait, cette mention est liée au fait que le roi était parti à la chasse ce jour, et n’avait rien attrapé. Bref, au final, on a une capitale libérée de toute emprise militaire. Le roi ne va avoir d’autre choix que de réengager Necker. Quelques jours plus tard, il va même rendre visite à Paris.
Corentin : Alors au final, pourquoi est-ce qu’on retient davantage la Prise de la Bastille que d’autres événements tout aussi importants, comme ceux que tu as cité plus tôt, l’abolition des privilèges, ou la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?
Thomas : D’abord parce que la Prise de la Bastille est un des premiers événements violents de la Révolution Française. Une fois décapité, la foule va mettre la tête de De Launay au bout d’une pique et la promener dans Paris. Des événements similaires suivront le reste du mois.
Ensuite, parce que dès le 16 juillet, on ordonne la destruction de la Bastille. On va littéralement démonter le symbole de l’arbitraire royal.
Enfin, parce que cet événement d’abord parisien, influencer la Révolution dans tout le reste du pays. La révolte locale va prendre de l’ampleur et trouver écho dans les autres grandes villes, puis dans les campagnes.
Corentin : Eh bien merci pour tous ces éclaircissements, ça nous donnera du grain à moudre en cas d’échanges mouvementés à propos du 14 juillet sur Twitter. Merci Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
Prise de la Bastille : un événement devenu symbole
Qui dit juillet, dit 14 Juillet ! La fête nationale française ! Mais d’ailleurs, que célèbre-t-on au juste ? La Fête de la fédération ou la prise de la Bastille ? Si le débat n’est pas vraiment tranché, on parlera tout de même de ce bastion devenu un véritable symbole de la Révolution française.
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